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Page:Estève - Leconte de Lisle, Boivin.djvu/236

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LECONTE DE LISLE

les vers. On se retrouva, entre gens du monde, chez la générale de Ricard, où « devant un public de soies et de dentelles, tout éclatant de diamants au corsage et de perles dans les chevelures », devant un public aussi d’écrivains et d’artistes, quelques-uns de ces jeunes gens osèrent jouer Marion de Lorme. On se retrouva enfin, entre poètes, dans le salon de Leconte de Lisle. L’auteur des Poèmes Barbares était marié depuis quelques années. C’était son délassement et son luxe de recevoir chaque semaine, dans son modeste intérieur, égayé par la présence et la grâce d’une jeune femme, les apprentis littérateurs qui venaient lui demander à l’envi des encouragements et des conseils.


Aucun de ceux — a dit Catulle Mendès — qui ont été admis dans le salon de Leconte de Lisle, ne perdra jamais le souvenir de ces nobles et doux soirs qui, pendant tant d’années, oui, pendant beaucoup d’années, furent nos plus belles heures. Avec quelle impatience, chaque semaine accrue, nous attendions le samedi, le précieux samedi où il nous était donné de nous retrouver, unis d’esprit et de cœur, autour de celui qui avait toute notre admiration et toute notre tendresse C’était dans ce petit salon, au cinquième étage d’une maison neuve, boulevard des Invalides, que nous venions dire nos projets, que nous apportions nos vers nouveaux, sollicitant le jugement de nos camarades et de notre grand ami[1].


À partir de la publication du premier Parnasse Contemporain, il y eut, pour « tous les jeunes porteurs de lyre », un rendez-vous quotidien, passage Choiseul, dans l’entresol de l’éditeur Lemerre. Là se réunissaient, sous l’invocation de Victor Hugo et de Leconte de Lisle, qui étaient comme les Pénates du lieu, Valade et Mérat, Dierx et d’Hervilly, Armand Renaud, Coppée, Sully-Prudhomme, Jean Lahor, Theuriet, Lafenestre, Armand Silvestre, Emmanuel des Essarts, José-Maria de Heredia, Verlaine, Mallarmé, Anatole France… Je ne saurais les nommer tous. Dispersé par la guerre, le groupe, une fois la paix revenue, se reforma. De nouvelles recrues le grossirent Charles de Pomairols, Auguste Dorchain, Paul Bourget, Frédéric Plessis, le vicomte de Guerne. On se rencontra aussi, vers 1875, rue de Châteaudun, dans les bureaux de La République des Lettres, fondée par l’infatigable Mendès. Mais le centre

  1. La Légende du Parnasse Contemporain, Bruxelles, 1884, p. 224.