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Page:Estève - Leconte de Lisle, Boivin.djvu/92

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LECONTE DE LISLE

le temps de son séjour à Rennes, ému peut-être et comme gagné par la contagion d’une ferveur religieuse dont quelques-uns de ses plus chers amis lui donnaient le spectacle, — le pieux Rouffet, par exemple, ou bien encore Houein, « charmant garçon, doux, religieux et instruit », — il avait composé sur Jésus enfant une petite pièce intitulée Issa ben Mariam, dont le titre trahit une recherche, assez curieuse pour l’époque, de couleur exotique, mais dont l’inspiration est tout orthodoxe. Elle décrit en strophes délicatement nuancées le repos de l’enfant-dieu, et conclut ainsi


Tu dormais plein de grâce, enfant de l’Orient.
L’ange des songes d’or ouvrait en souriant
               Ses ailes sur ta tête blonde,
Et ta mère veillait son trésor précieux ;
Mais nul ne devinait que de tes faibles yeux
               Jaillirait l’aurore du monde !

Mais nul ne devinait, mystérieux martyr,
Que de ton sang sacré fécondant l’avenir
               Sombre de haine et de souffrance,
Un jour tu doterais la frêle humanité
Des rayons de l’aurore et de la liberté
               Et de l’immortelle espérance !…


Plus tard il devait revenir maintes fois à la personne du Christ, et son œuvre définitive contient au moins une dizaine de passages où Jésus est mis en scène sous des aspects différents. Je laisse de côté La Passion dont on a grossi le recueil posthume du poète, étant bien avéré que, malgré la dédicace : À ma mère, elle ne fut jamais qu’une de ces besognes plus ou moins lucratives dont Leconte de Lisle était contraint de s’acquitter par les nécessités de la vie. Ce commentaire rimé du Chemin de la Croix ne rend à l’analyse ni émotion religieuse ni sentiment poétique. Ces quatorze ou quinze tableaux ont de l’imagerie pieuse, telle qu’elle est trop souvent exécutée, la banalité et la froideur. D’autres, moins orthodoxes, sont infiniment plus touchants, parce que le cœur du poète s’y est librement exprimé. Tantôt il a peint le Dieu de la crèche,


le dernier-né des familles divines,
Le fruit de leur sillon, la fleur de leurs ruines,