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H. POINCARÉ. — SUR LA VALEUR OBJECTIVE DE LA SCIENCE.

fixé des règles. C’est l’ensemble de ces règles que l’on appelle la science.

C’est ainsi que les hommes, désireux de se divertir, ont institué des règles de jeux, comme celle du tric-trac, par exemple, qui pourraient, mieux que la science elle-même, s’appuyer de la preuve du consentement universel. C’est ainsi également que, hors d’état de choisir, mais forcé de choisir, on jette en l’air une pièce de monnaie pour tirer à pile ou face.

La règle du tric-trac est bien une règle d’action comme la science, mais croit-on que la comparaison soit juste et ne voit-on pas la différence ? Les règles de jeu sont des conventions arbitraires et on aurait pu adopter la convention contraire qui n’aurait pas été moins bonne. Au contraire, la Science est une règle d’action qui réussit, au moins généralement et, j’ajoute, tandis que le règle contraire n’aurait pas réussi.

Si je dis, pour faire de l’hydrogène, faites agir un acide sur du zinc, je formule une règle qui réussit ; j’aurais pu dire faites agir de l’eau distillée sur de l’or ; cela aurait été aussi une règle, seulement elle n’aurait pas réussi.

Si donc les « recettes » scientifiques ont une valeur, comme règle d’action, c’est que nous savons qu’elles réussissent, du moins en général. Mais savoir cela, c’est bien savoir quelque chose et alors pourquoi venez-vous nous dire que nous ne pouvons rien connaître ?

La science prévoit, et c’est parce qu’elle prévoit qu’elle peut être utile et servir de règle d’action. J’entends bien que ses prévisions sont souvent démenties par l’événement ; cela prouve que la science est imparfaite et si j’ajoute qu’elle le restera toujours, je suis certain que c’est là une prévision qui, elle du moins, ne sera jamais démentie. Toujours est-il que Le savant se trompe moins souvent qu’un prophète qui prédirait au hasard. D’autre part le progrès est lent, mais continu, de sorte que les savants, quoique de plus en plus hardis, sont de moins en moins déçus. C’est peu, mais c’est assez.

Je sais bien que M. Le Roy a dit quelque part que la Science se trompait plus souvent qu’on ne croit, que les comètes jouaient parfois des tours aux astronomes, que les savants, qui apparemment sont des hommes, ne parlaient pas volontiers de leurs insuccès et que, s’ils en parlaient, ils devraient compter plus de défaites que de victoires.

Ce jour-là, M. Le Roy a évidemment dépassé sa pensée. Si la