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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

des planètes. Quand je m’en sers par exemple pour calculer l’orbite de Saturne, je néglige l’action des étoiles ; et en agissant ainsi, je suis certain de ne pas me tromper, car je sais que ces étoiles sont trop éloignées pour que leur action soit sensible.

J’annonce alors avec une quasi-certitude que les coordonnées de Saturne à telle heure seront comprises entre telles et telles limites. Cette certitude cependant est-elle absolue ?

Ne pourrait-il exister dans l’univers quelque masse gigantesque, beaucoup plus grande que celle de tous les astres connus et dont l’action pourrait se faire sentir à de grandes distances ? Cette masse serait animée d’une vitesse colossale et après avoir circulé de tout temps à de telles distances que son influence soit restée jusqu’ici insensible pour nous, elle viendrait tout à coup passer près de nous. À coup sûr, elle produirait dans notre système solaire des perturbations énormes que nous n’aurions pu prévoir. Tout ce qu’on peut dire c’est qu’une pareille éventualité est tout à fait invraisemblable, et alors, au lieu de dire : Saturne sera près de tel point du ciel, nous devrons nous borner à dire : Saturne sera probablement près de tel point du ciel. Bien que cette probabilité soit pratiquement équivalente à la certitude, ce n’est qu’une probabilité.

Pour toutes ces raisons, aucune loi particulière ne sera jamais qu’approchée et probable. Les savants n’ont jamais méconnu cette vérité ; seulement ils croient, à tort ou à raison, que toute loi pourra être remplacée par une autre plus approchée et plus probable, que cette loi nouvelle ne sera elle-même que provisoire, mais que le même mouvement pourra continuer indéfiniment, de sorte que la science en progressant possédera des lois de plus en plus approchées et de plus en plus probables, que l’approximation finira par différer aussi peu que l’on veut de l’exactitude et la probabilité de la certitude.

Si les savants qui pensent ainsi avaient raison, devrait-on dire encore que les lois de la nature sont contingentes, bien que chaque loi, prise en particulier, puisse être qualifiée de contingente ?

Où bien devra-t-on exiger, avant de conclure à la contingence des lois naturelles, que ce progrès ait un terme, que le savant finisse un jour par être arrêté dans sa recherche d’une approximation de plus en plus grande et qu’au delà d’une certaine limite, il ne rencontre plus dans la Nature que le caprice ?

Dans la conception dont je viens de parler (et que j’appellerai la