Page:Etudes de métaphysique et de morale, année 10, 1902.djvu/754

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
750
REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

laissez passer ; que chacun se fasse sa part, selon ses mérites, son intelligence et son travail. On demande à l’État d’être spectateur et comme simple juge du camp : on était trop accoutumé à voir l’État intervenir au détriment de la justice, au profit des privilèges, pour songer alors à lui demander plus. Mais le temps s’écoule. La monarchie disparaît ; la république, le suffrage universel s’établissent ; la démocratie gagne du terrain. Alors on demande à l’État de n’être plus neutre, d’aider l’effort des individus, d’intervenir dans le conflit des intérêts et des croyances, non pour favoriser et privilégier des individus et des groupes, mais pour réaliser, au profit de tous, toute la justice possible. Ce n’est pas reculer, c’est avancer. Ce n’est pas déserter, c’est fortifier la cause de la liberté. Tant que l’État est aristocratique ou monarchique, on ne peut rien lui demander de mieux que l’abstention : mais quand il a cessé d’être la propriété ou l’instrument de quelques-uns, alors il a son rôle actif dans l’organisation libérale de la société.

Cela veut-il dire qu’on retourne au principe d’autorité ? Nullement. Mais ce mot d’autorité est plein d’équivoque. L’autorité que le libéralisme combat, celle que 1789 a commencé de renverser, celle à laquelle je ne veux pas revenir, c’est celle qu’un individu ou un groupe s’arroge, par mandat de Dieu, par privilège héréditaire, au nom d’un dogme, révélé ou rationnel, enfin à quelque titre que ce soit, sur la communauté, pour lui imposer des lois, la diriger ou l’exploiter sans son consentement. Cette autorité-là je n’en veux absolument pas, quelque habit qu’elle revête, et quelque fondement qu’elle se donne. Elle comporte toujours l’abdication ou l’oppression de la nation, à laquelle se substitue une volonté particulière, individuelle ou collective : roi ou César, Église ou secte. Mais ou le libéralisme est la négation de toute organisation sociale, l’anarchie pure, ou l’on concevra que la nation, demeurant maîtresse d’elle-même, fixe des lois, désigne des administrateurs, et que ces lois, ces administrateurs aient certain pouvoir limité sur les individus. De là une forme nouvelle d’autorité qui n’a rien de commun avec la première. Et c’est vraiment se jouer de nos imaginations et évoquer des fantômes que de nous accuser de restaurer l’autorité tyrannique du régime des privilèges, quand nous voulons donner de l’autorité aux lois expressives de la volonté nationale, aux administrateurs délégués par la même volonté pour exécution de ces lois. L’autorité que nous rêvons, que nous acceptons en régime démocratique, ce n’est