Page:Eugène Le Roy - L’Ennemi de la mort.djvu/81

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

tant bien que mal, aux pires endroits. C’était comme un très large sentier sans fossés, qui n’avait jamais été pavé ni ferré, où, comme dans la Double en général, on n’eût pas trouvé une pierre à jeter à un chien. Parfois un chêneau crû sur le chemin embarrassait le passage ; ailleurs, des bruyères ou des genêts faisaient au milieu comme un îlot qu’il fallait contourner ; et ces obstacles, sans gêner autrement la petite troupe, rompaient la régularité de sa marche.

M. de Légé, ce jour-là, était de bonne humeur, comme d’habitude après une fructueuse opération. La veille, il avait prêté sur bonne hypothèque, pour trois ans, six mille francs à M. Servenière, — avec les intérêts stipulés au taux légal, toujours : — seulement, l’emprunteur avait dû, pour obtenir la somme, signer en outre trois billets de cent écus chacun, échelonnés d’année en année, ce qui portait l’intérêt à dix pour cent. Autrefois le prêteur faisait mieux ; mais, connaissant la difficulté des temps, il savait, à l’occasion, se contenter de moins. Du reste il n’avait pas le plus petit scrupule à ce propos : l’obligation était là, qui stipulait de façon authentique les intérêts au taux légal ; cela lui suffisait, car la forme était tout pour lui. Les billets, M. Servenière les avait souscrits pour le disposer à lui consentir le prêt, mais nullement à titre d’intérêt. Aussi M. de Légé se considérait-il comme parfaitement en règle envers la loi, sa conscience et aussi la religion, pour laquelle il se montrait fort zélé.

— Daniel, fit-il d’un air paterne en poussant son cheval pour se mettre en ligne, je parlais tout à l’heure de vos idées révolutionnaires ; mais il y a bien autre chose encore qui vous fera du tort dans la vie, surtout quand vous chercherez à vous marier !