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Page:Euripide, trad. Leconte de Lisle, I, 1884.djvu/58

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HÉKABÈ.

Tu le verras bientôt devant ces demeures, aveugle et marchant d’un pied aveugle et vacillant ; et tu verras les cadavres de ses deux enfants que j’ai tués à l’aide des courageuses Trôiades. Il a payé ce qu’il me devait. Vois ! il sort des tentes ! Mais je m’en vais ; je me déroberai au Thrèkien tout bouillant d’une colère irrésistible.




POLYMÈSTÔR.

Hélas sur moi ! Où aller ? où m’arrêter ? où aborderai-je, en marchant sur mes mains et mes pieds comme une bête sauvage des montagnes ? Quelle route prendre ? Celle-ci, ou celle-là, afin de saisir ces Iliades tueuses d’hommes qui m’ont perdu ? Misérables, misérables filles des Phryges ! oh ! les maudites ! Dans quel enfoncement se blottissent-elles pour m’échapper ? Halios ! puisses-tu guérir la paupière sanglante et aveugle de mes yeux et me rendre la lumière ! Ah ! ah ! Silence ! silence ! j’entends la marche furtive de ces femmes. Où me jetterai-je pour m’emplir de chair et d’os, pour faire un festin de bêtes féroces et venger ma ruine par leur destruction ? Ah ! malheureux ! où vais-je, abandonnant mes enfants à ces Bakkhantes du Hadès, pour qu’elles les mettent en pièces ? pour qu’elles donnent en pâture aux chiens cet égorgement sanglant, ou qu’elles les dispersent en lambeaux sur les montagnes ? Où m’arrêter ? où marcher ? où tourner ? Et, comme une nef qui serre ses voiles de lin à l’aide des manœuvres, où m’élancer pour garder mes enfants sur leur lit funeste ?