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Page:Euripide, trad. Leconte de Lisle, II, 1884.djvu/295

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MAKARIA.

Ne redoute donc plus la lance ennemie des Argiens ; car, de moi-même, et avant qu’on me l’ordonne, ô vieillard, je suis prête à mourir, et je m’offre au sacrifice. Quoi donc ! Si cette Ville brave pour notre cause un grand danger, fuirons-nous la mort, nous qui imposons des périls à d’autres, lorsque nous pouvons tout sauver ? Non ! Il serait, certes, ridicule de rester à supplier les Dieux en gémissant, et d’être regardés comme des lâches, étant nés d’un tel père. En quel lieu ces choses seraient-elles honorables ? Serait-il plus beau, — et plaise aux Dieux que cela ne soit jamais ! — la Ville prise, de tomber aux mains de nos ennemis et de subir ensuite des traitements indignes, moi, née d’un père illustre, et, néanmoins, de recevoir la mort ? Mais, chassée de cette terre et vagabonde, ne serais-je pas accablée de honte, si quelqu’un disait : — Pourquoi venez-vous ici avec ces rameaux suppliants, vous qui êtes si avides de vivre ? Sortez d’ici ! car nous ne venons pas en aide aux lâches ! — Et si, laissant mourir mes frères, je sauvais ma vie, je n’aurais pas l’espérance d’être heureuse. Beaucoup d’autres déjà, pour cette espérance, ont trahi leurs amis. Qui, en effet, voudra épouser une jeune fille délaissée, et avoir des enfants de moi ? Il est donc meilleur de mourir que de subir de telles indignités. Peut-être conviennent-elles davantage à qui n’est pas de bonne race comme moi. Conduisez-moi là où je dois mourir, et couronnez-moi de bandelettes pour le sacrifice. Vous vaincrez les ennemis ; car j’ai l’âme prête, libre et non contrainte, et j’affirme que je meurs pour mes frères et pour moi-même. Ne désirant point vivre, j’ai trouvé la plus belle façon de sortir glorieusement de la vie.