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Page:Evariste Huc - Empire chinois ed 5 vol 1.djvu/98

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nous donnant à examiner une large feuille de papier : c’était un alphabet de nos lettres européennes grossièrement dessinées. Probablement on avait eu cela dans le pillage de quelque établissement chrétien où l’on élève les jeunes Chinois pour l’état ecclésiastique. — Connaissez-vous cela ? nous dit l’assesseur de gauche. — Oui, ce sont les vingt-quatre signes radicaux d’où naissent tous les mots de notre langue. — Pouvez-vous les lire et nous en faire connaître les sons ?… L’un de nous eut l’extrême complaisance de réciter solennellement l’A b c. Pendant ce temps, tous les juges s’empressèrent de retirer de leurs bottes, car les bottes, en Chine, servent souvent de poche, un exemplaire de l’alphabet, où chaque lettre européenne avait sa prononciation exprimée, tant bien que mal, avec des caractères chinois. Il paraît que l’incident avait été concerté et préparé à l’avance. Chaque juge avait la figure collée sur son papier, et se promettait bien, sans doute, de faire en ce jour les découvertes les plus curieuses sur les langues de l’Europe. L’assesseur de gauche, tenant les yeux et l’index de la main droite fixés sur la première lettre, s’adressant à l’accusé qui venait de dire l’A b c, le pria de reprendre lentement la récitation et de s’arrêter un peu sur chaque lettre. Celui-ci fit quatre pas en avant, et tendit très-gracieusement au juge philologue son exemplaire de l’alphabet en lui disant : — J’avais pensé que nous étions venus ici pour subir un jugement, et voilà maintenant que nous sommes des maîtres d’école, et que vous êtes devenus nos disciples… Des rires inextinguibles éclatèrent dans l’assemblée ; les juges eux-mêmes y prirent part, sans en excepter, ni le grave et solennel président,