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Page:Eyma, Les peaux noires, Lévy, 1857.djvu/102

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et de ces luttes de castes, encore féroces aujourd’hui dans la plus grande partie de l’Amérique, pour se bien figurer comme nous sommes dans le vrai en parlant ainsi, et à quel point une femme se peut éblouir de passer aussi subitement de l’humiliante condition de mulâtresse à l’orgueilleuse conquête de la dignité de femme blanche.

Madeleine, à ses propres yeux, devant son intelligence comme devant son cœur, subissait une transformation ; le baptême de la société venait de la régénérer.

Horribles mœurs ! dira-t-on. Ce cri aura plus d’un écho que nous n’essaierons pas d’étouffer.

Firmin ne voulut point troubler l’agitation et les rêves de Madeleine ; sa main dans la sienne, il contemplait avec un calme souriant la rougeur et la pâleur qui, tour à tour, montaient aux joues de la jeune fille, et trahissaient tantôt son bonheur, tantôt de vagues craintes qu’elle ne pouvait elle-même définir.

Elle détacha tout à coup ses regards du point où ils étaient fixés, les tourna, souriants et lumineux, vers Firmin, qui prit dans ses deux mains la tête de Madeleine et l’embrassa avec une effusion moitié pieuse, moitié amoureuse.

Au même moment, Jérémie, sa rigoise à la main, apparut à l’angle de la case. Madeleine poussa un cri en s’enfuyant, Firmin alla au-devant du vieux mulâtre qui demeurait cloué à sa place.

— Qu’est-ce qui vous amène ici, monsieur le comte ? demanda Jérémie, sans oser lever les yeux sur Firmin. Si, et je le crains trop d’après ce que j’ai vu, vos intentions sont coupables, ce n’est pas généreux à vous, monsieur le comte !

— Jérémie ! s’écria Firmin en serrant violemment le bras du mulâtre.

Au ton de cette simple exclamation et au geste qui l’ac-