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Page:Eyma, Les peaux noires, Lévy, 1857.djvu/121

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II


On a prétendu, avec quelque apparence de raison, que l’esclavage avait faussé les idées et les sentiments du nègre, en lui interdisant d’une façon absolue toute notion du bien et du juste, du mal et de l’injuste. Est-ce bien tout à fait exact ? Je ne le pense pas.

Le nègre, tremblant et timide devant son maître, soumis et craintif jusque dans sa révolte, affaibli par la subordination, ne peut pas, n’ose pas lutter ouvertement. Ayant cependant des vengeances à exercer, il a recours forcément à des moyens occultes : le poison et le feu. Ce sont les armes des lâches ; mais ce sont aussi les armes des opprimés réduits à agir dans l’ombre. Aussi le bon comme le mauvais nègre est-il toujours approvisionné de poison, ou du moins sait-il où en trouver à l’occasion. C’est affaire de prévoyance.

Tout au plus pourrait-on invoquer, pour refuser à l’esclave le sentiment du bien et du mal, l’exemple du nègre heureux, reconnaissant, attaché à son maître, et lui donnant, par le poison, la preuve épouvantable de cet attachement et de cette reconnaissance. Mais il n’ignore pas les funestes effets de cette arme qu’il manie avec une habileté merveilleuse, puisqu’il calcule les conséquences de son action : d’une part, la mort ; de l’autre, la ruine. Il confesse franchement, hautement, le but qu’il poursuit ; il l’atteint, il s’en réjouit.

Le nègre sait donc bien qu’il commet un crime. D’ailleurs, en maintes occasions, la loi a frappé sous ses yeux des criminels. S’il ne prévoyait pas les conséquences fa-