Aller au contenu

Page:Eyma, Les peaux noires, Lévy, 1857.djvu/260

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

deur d’une de ses habitations, si je ne lui dévoilais pas ce que je savais de la rencontre d’hier entre Joséfa et M. de Laverdant. Je lui jurai que j’ignorais tout. Quelques instants après, il me chargea, sous menace d’être fouettée en pleine rue par le bourreau, de m’assurer si vous sortiriez ce soir, et de lui dire où vous iriez. Je feignis d’accepter cette odieuse mission ; je lui ai menti en lui persuadant que vous étiez allée à votre estancia de Santa-Bonaventura pour y faire provision de fleurs et de fruits.

Antonia, blanche comme un lis, les lèvres violettes, les yeux noyés dans les larmes, avait écouté avec terreur ce récit de Tobine.

— Tu savais donc, s’écria-t-elle, que je venais ici ?

— Oui, répondit la mulâtresse. En voyant M. André sortir, je l’ai suivi de loin, je l’ai vu se diriger vers la porte de Tierra ; je n’ai pas douté alors que vous ne vinssiez chez nourrice. Oh ! Madame, continua Tobine en se jetant aux genoux de sa maîtresse, si vous l’aimez, ne le revoyez plus jamais ; je vous dis que vous le ferez assassiner.

Tobine était belle en suppliant ainsi Antonia qui hésitait à promettre ce que lui demandait la jeune esclave. Joséfa fut obligée d’intervenir, et obtint qu’au moins on laisserait écouler quelques jours avant de revoir André, de manière à dérouter les soupçons du marquis.

— Écrivez-lui cela ! s’écria Tobine à moitié triomphante, car elle s’était arrêtée à cet espoir que huit jours pourraient amener l’oubli de la part de l’un ou de l’autre.

— Lui écrire cela ! répéta Antonia, mais…

— Voulez-vous donc le faire mourir ? s’écria la mulâtresse avec une éloquence persuasive devant laquelle Antonia parut ébranlée.

— Et qui lui remettra ce billet ? demanda-t-elle.

— Moi, répondit la jeune esclave.

Antonia jeta un regard ardent sur Tobine. Elle la