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Page:Eyma, Les peaux noires, Lévy, 1857.djvu/28

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III


Jérémie, il n’y avait pas à s’y tromper, était un vieux mulâtre. Son teint cuivré, ce qui lui restait de cheveux crépus sur le bord des tempes, l’agilité de ses doigts, l’exagération de ses mouvements, tout trahissait son origine dont le brave homme, d’ailleurs, ne se défendait pas. Son empressement vis-à-vis de son hôte était l’exacte traduction de ce qu’eussent fait ses maîtres s’ils avaient été présents. Je dis les maîtres de Jérémie, encore que le vieux mulâtre fût libre et n’eût même jamais appartenu aux propriétaires de l’habitation sur laquelle il remplissait un poste de confiance ; mais il avait pris l’habitude de les appeler « ses maîtres, » autant par respect que par affection. Cela ne tirait point à conséquence.

Firmin alluma un des bouts que Jérémie avait mis à sa disposition, coucha sa tête dans une de ses mains, et, en aspirant la fumée du tabac, il se laissa aller à une profonde rêverie. Disons quelques mots de plus sur Firmin, et expliquons son voyage à travers la tempête où il avait failli périr.

Firmin avait vingt-cinq à vingt-six ans, et pourtant ses traits fins et délicats, la blancheur de son teint, son visage encore imberbe en accusaient à peine dix-huit. Il était de taille moyenne, mince, élégant, créole et gentilhomme de la tête aux pieds. Fils d’une des plus riches et des plus nobles familles de la Martinique, il avait été élevé en France, et était revenu dans la colonie depuis trois semaines, dans le but de régler une succession.