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Page:Eyma, Les peaux noires, Lévy, 1857.djvu/280

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de son stupide abattement, eut peur de se trouver seule au milieu de la nuit, en face de ce cadavre.

Elle se leva tout à coup et alla à l’autre extrémité du jardin s’agenouiller sous une tonnelle de jasmins, et se prit à prier Dieu. Peu à peu le sentiment du danger lui vint. Sa pensée ne s’était pas encore arrêtée sur la gravité de sa position. Si on venait à la surprendre en tête-à-tête avec ce cadavre, couverte de sang comme elle l’était en ce moment, dans ce désordre de vêtements et de visage, que répondrait-elle ? Elle ne connaissait aucun détail du crime ; elle ne savait pas quelle main avait frappé André, bien qu’elle soupçonnât la cause et l’auteur ou tout au moins l’instigateur du meurtre. Elle serait donc obligée de dire ce qu’elle savait du rendez-vous donné à M. de Laverdant par Antonia, de dénoncer M. le marquis Daguilla ? Mais qui le prouverait, bien que le pavillon de la marquise fût le théâtre du crime ?

Tobine se voyait donc perdue. Il ne lui restait qu’un moyen, c’était de fuir, de s’en aller marron dans les bois.

Le cheval d’André était là ; elle pouvait s’en servir, et avant le lever du jour, se trouver hors d’atteinte. Elle prit énergiquement cette résolution, et se dirigea vers le point où était attaché le pauvre cheval qui hennissait toujours de temps en temps. Mais le noble animal, libre, s’était rapproché du cadavre de son maître le flairant toujours de ses naseaux, et frappant la terre du sabot.

Tobine marcha du côté où l’appelaient ces deux bruits, sans trop avoir la conscience de la direction qu’elle prenait. Son pied heurta le cadavre d’André ; elle poussa un cri et s’accrocha des doigts à la crinière du cheval qui, effrayé, bondit dans l’allée et galopa vers la grille qu’il franchit.

Une fois dans la campagne, il aspira l’air à pleins na-