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Page:Eyma, Les peaux noires, Lévy, 1857.djvu/32

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le cheval venait de poser ses sabots de derrière, se déracina, et la pauvre bête perdit l’équilibre, livrée à la merci du courant. Firmin s’accrocha heureusement à un paletuvier, qui projetait ses branches jusque vers le milieu de la rivière, et abandonna le cheval, dont le corps surnagea un peu plus loin pour s’enfoncer de nouveau dans les flots qui le roulèrent jusqu’à la mer. À l’endroit où il s’était suspendu à la branche du paletuvier, Firmin sentant une roche sous ses pieds s’y posa, ayant de l’eau jusqu’à la ceinture. Grâce au secours que lui prêta cet arbre providentiel, il parvint à gagner la rive.

Les accidents de cette nature sont très-fréquents à la Martinique. Les rivières n’y avaient, à l’époque où se passe ce récit, et n’y ont encore, dans beaucoup de localités, d’autres ponts que les larges pierres noires du fond, qui, en certains endroits, diminuent notablement la profondeur. Les nègres connaissent, devinent plutôt merveilleusement ces gués que les débordements déplacent souvent. Comme si elle avait prévu la négligence des colons, la Providence a heureusement donné à toutes ces rivières des eaux d’une transparence de cristal. Leur limpidité excite à la soif ; les nègres s’y couchent volontiers tout ruisselants de sueur, et les chevaux ne manquent pas d’y faire de longues stations, le naseau barbottant jusqu’aux yeux.

C’est au mieux par les jours sereins ; mais, quand les orages s’en mêlent, ces ruisseaux deviennent torrents, leur limpidité se mélange de sable et de boue, et ces roches du fond, la veille si charitables, emportées par des courants formidables, roulent avec un horrible fracas, broyant tout sur leur passage.

Firmin, parvenu sur la rive sain et sauf, se vit dans un cruel embarras. Plus de cheval d’abord, puis, en perspective, deux autres rivières bien plus dangereuses encore que la rivière Sainte-Marie à traverser : le Lorrain et la