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Page:Féron - L'espion des habits rouges, 1928.djvu/41

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L’ESPION DES HABITS ROUGES

fit trembler le ciel et la terre. Sur les tablettes les verres et les bouteilles vibrèrent en s’entre-choquant…

Denise se releva, suffoquée presque, et dans un souffle qui ressembla à une effusion de joie et d’allègement elle cria :

— Il est trop tard !

Et, cette fois, elle s’abattit tout à fait aux pieds d’André Latour.


VII

PREMIÈRES ESCARMOUCHES


Ils étaient là les gâs de 37, barrant la route à l’ennemi !

Et leurs femmes étaient là aussi…

Après la voix de l’homme, c’était la voix des armes à feu qui se faisait entendre.

Wolfred Nelson et sa bande de Patriotes avaient dit à Gore qui se présentait à la tête de huit cents soldats bien armés et disciplinés :

— Halte-là ! on ne passe pas !

Et ils ne passèrent pas ceux qui avaient cru pouvoir asservir par tous les moyens, même par la force armée, un peuple vaillant et fier de son origine. Et Gore, à sa grande surprise, avait trouvé lui aussi une force armée devant lui ! Mieux qu’une force armée : il avait à combattre le courage, la bravoure, le patriotisme qu’aucun sacrifice ne peut amollir ou décourager !

Et la bataille s’était engagée.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Il était environ dix heures de matinée.

Le ciel demeurait caché sous une couche d’épais nuages gris et la température devenait plus froide. On grelottait un peu en attendant que Nelson vînt donner ses ordres. Mais plusieurs paysans qui venaient d’arriver avaient dit :

— Ça ne sera pas long qu’on va se réchauffer à la chaleur de la poudre !

À une bonne distance encore et derrière un bouquet de bois qui masquait une partie de la route parut un détachement de cavalerie. Les chevaux allaient au pas. Nelson à cet instant survenait et donnait l’ordre que chacun dissimulât sa présence. Le chemin fut aussitôt déserté, mais pas si vite que les cavaliers anglais n’eussent aperçu plusieurs capotes grises traverser le chemin en courant. Le détachement s’arrêta et essaya de dissimuler sa présence derrière le bouquet de bois, sans doute pour attendre le gros de la troupe.

Déjà Nelson et ses officiers disposaient leurs hommes, deux cent vingt-cinq en tout, dont cent quatre-vingt seulement avaient des fusils. Comme on n’avait pas de camp retranché, ni barricades, ni barrières, on avait pris comme premier poste de défense une maison de pierre placée près du chemin et à l’entrée du village. Cette maison était la propriété de paysans-laboureurs, les Saint-Germain, dont les champs s’étendaient à l’arrière du village. C’était une forte construction, solide et spacieuse, et avec des armes, mais du canon surtout, on en aurait pu faire un fort capable de soutenir un siège. Nelson y aposta soixante de ses meilleurs tireurs : quarante sous le toit, vingt au rez-de-chaussée.

Un peu plus loin vers le village et sur le côté opposé du chemin s’élevait la distillerie du docteur, autre construction solide, mais non en pierre, faite de grosses pièces de pin équarries. Là, Nelson plaça trente tireurs, et il ordonna à quelques jeunes hommes, dont son propre fils, de fondre des balles. À sa maison il posta quelques autres tireurs. Il en installa quelques-uns derrière les hautes cordes de bois de la distillerie, puis d’autres près d’une grosse meule de gerbes à côté de la grange des Saint-Germain. Il faut dire que tous ceux qui étaient armés de fusils savaient fort bien s’en servir : presque tous étaient d’habiles tireurs.

Quant à ceux qui n’avaient pas de fusils, Nelson les avait disposés en deux groupes à l’abri des premières maisons du village, et ceux-là étaient sous les ordres d’Ambroise Coupal. Ils n’avaient d’autres armes que des faux, des épieux, des haches, des fourches. Nelson ne songeait à s’en servir qu’au moment où il jugerait que le feu de l’ennemi ne serait plus à craindre, c’est-à-dire si l’on en venait à un corps-à-corps où il ne serait plus possible de faire usage des armes à feu. Et lui, Nelson, s’était réservé le commandement du premier poste de bataille, chez les Saint-Germain.

Au magasin des Pagé, vers le centre du village, on installait à la hâte une infirmerie sous la direction du docteur Kimber. Il y avait là un bon nombre de femmes avec leurs enfants, et parmi ces femmes on reconnaissait entre autres la mère Rémil-