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Page:Féron - L'espion des habits rouges, 1928.djvu/51

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L’ESPION DES HABITS ROUGES

— Venez, mes amis, dit Coupal à voix basse.

Il alla au comptoir et servit du vin à ses hommes. Puis il leur fit signe de se retirer. Mais avant de suivre les patriotes dehors, Ambroise Coupal s’approcha doucement de la jeune fille, prit une de ses mains et murmura d’une voix attendrie :

— Denise, adieu ! Pardonnez-moi si je vous ai fait mal ! Je m’en vais mourir, et je penserai à vous… oui ma dernière pensée sera pour vous ! Adieu ! belle Denise ! … Adieu, canadienne ! Adieu, patriote !…

Il abandonna la main qui retomba inerte. Mais, il frémit violemment en voyant des larmes poindre sous les paupières closes et rouler sur les joues livides de la jeune fille.

Des larmes vinrent à ses yeux, malgré sa volonté. Mais il se domina bien vite pour murmurer un dernier adieu, reprendre la main diaphane de la jeune fille et la baiser religieusement. Puis, il s’en alla en courant, en sanglotant…

— En avant ! rugit-il à ses patriotes. Mort aux ennemis de la race !…

Là-bas, Nelson venait de lancer ses Canadiens contre les troupes anglaises…


X

EN PLEINE BATAILLE


Si les Patriotes ne demeuraient pas inactifs, de leur côté les soldats du gouvernement et leurs officiers faisaient de leur mieux pour briser la résistance de leurs courageux adversaires. Il était deux heures de relevée, et pendant les quatre heures qu’avait duré jusqu’alors l’engagement, les troupes ennemies n’avaient pas gagné un pouce de terrain. Et loin de là : elles étaient constamment tenues en échec par une poignée de tireurs canadiens dont la précision du tir était remarquable. Peu de leurs balles se perdaient, elles tuaient ou blessaient. Gore s’inquiétait et enrageait. Il eut bien l’idée de lancer sa cavalerie contre le village ; mais que feraient des cavaliers, si courageux fussent-ils, contre des habitations dont chaque fenêtre recelait des patriotes dont le tir était meurtrier ? Sa cavalerie eût été anéantie sans profit. Le grand désavantage du colonel Gore était de se trouver devant un ennemi invisible et insaisissable.

Il faut bien donner la louange à Nelson d’avoir eu le tact et le bon sens de garder ses hommes à l’abri, et de ne pas les mettre en contact immédiat avec les forces ennemies avant que celles-ci eussent été fort maltraitées. Souvent il fut obligé d’user de toute son autorité de chef pour contenir ses Canadiens constamment tentés de faire une sortie.

— Que pas un de vous ne s’expose sans mon ordre ! avait-il répété à maintes reprises durant le cours de l’engagement.

Par cette tactique il avait ménagé son monde. Jusqu’alors trois seulement avaient été tués et une dizaine au plus blessés parmi les Patriotes. Du côté ennemi les pertes avaient été plus grandes, sans toutefois que sa force numérique eût été suffisamment diminuée pour le mettre en péril. À ce moment, c’est-à-dire vers les deux heures de relevée, les troupes anglaises comptaient une quarantaine de morts et pas moins d’une centaine de blessés dont plusieurs grièvement. On pouvait donc calculer que les soldats du gouvernement se voyaient privés de 140 combattants sur les huit cents environ qu’ils étaient à leur arrivée à Saint-Denis. C’étaient encore plus de six cents hommes qui leur restaient contre les deux cent cinquante Patriotes que commandait Nelson. Mais c’était déjà beaucoup de gagné pour ces derniers, on en était après tout de un contre deux. Mais un peu plus tard une centaine de Patriotes de Saint-Antoine et de Saint-Ours allaient survenir pour prêter main-forte, de sorte que chaque Patriote n’aurait plus que deux hommes à combattre.

Ce fut, en effet, un peu après deux heures que parurent, les cent Patriotes de Saint-Antoine et de Saint-Ours.

Le colonel Gore n’avait pas été sans redouter l’arrivée de ce renfort. Il s’était bien imaginé que les bruits de la bataille attireraient l’attention des gens des villages voisins. Aussi, avec cette crainte et voyant que le jour déclinait rapidement, il songea à en finir.

Mais que faire ?…

Le plus grand obstacle à vaincre était cette maison de pierre des Saint-Germain, véritable forteresse de laquelle partait sans cesse un feu mortel. Il songea à déloger les Canadiens postés derrière la grange des Saint-Germain et y placer un bataillon et prendre ainsi la forteresse par derrière.