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Page:Féron - L'espion des habits rouges, 1928.djvu/64

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L’ESPION DES HABITS ROUGES

les couleurs de liberté, de triomphe et de victoire !

Une exaltation frénétique s’empara de tout le monde.

Nelson s’élança dans l’auberge et commanda d’une voix retentissante :

— Un tonneau de vin, mère Rémillard !

— Dans la cave, docteur ! répondit la tenancière en train de servir des Patriotes au comptoir.

— Deux hommes ! commanda encore Nelson comme s’il eût été au combat.

— Présents, mon général ! firent deux voix.

Nelson sourit à la vue de Farfouille Lacasse et Landry.

Sur l’ordre du docteur les deux braves descendirent à la cave, en remontèrent un tonneau de vin qui fut roulé dehors près du canon.

Durant l’heure qui suivit régna la plus vive allégresse.

Mais au moment où la réjouissance paraissait arrivée à son comble, Denise parut dans la porte de l’auberge. Tout le monde la vit, très pâle, et avec sa robe blanche tachée de sang… du sang des combattants qui avait rejailli sur elle lorsqu’elle s’était jetée dans la mêlée, de son sang à elle, car elle avait reçu des égratignures et du sang.

Un silence se fit.

Et la jeune fille lança ce cri de désespoir :

— Holà ! Patriotes… qu’on court chercher un médecin ! Ô Dieu ! allez-vous le laisser mourir ?… Il n’entend plus… il râle… il va trépasser ! Un médecin, pour l’amour du ciel !… Le curé… Hâtez-vous !…

Et dans une course chancelante elle remonta à sa chambre.

Là, accouraient bientôt Nelson et Kimber. Un peu plus tard survenait le curé. Près du lit demeuraient agenouillées Denise et Félicie, pleurant toutes deux. Dame Rémillard se tenait au chevet, son mouchoir sur les yeux. Et dans cette chambre où se pressaient Patriotes et villageois, femmes et enfants, au milieu d’un tragique silence, on n’entendait que des sanglots, on ne voyait que des yeux mouillés.

Près de la porte se tenaient Farfouille Lacasse et Landry, très émus tous deux. Mais peut-être que Farfouille était le plus ému des deux, car il murmura à l’oreille de son compagnon :

— Landry, allonge-moi une mornifle, sinon je vais me mettre à pleurer moi aussi !…

Mais Landry pleurait lui-même tellement qu’il n’aurait pas eu la force de lever sa main.

Mais la voix de Nelson fit soudain dresser toutes les têtes.

— Mes amis, dit-il d’une voix sereine, notre brave patriote est hors de danger… réjouissez-vous !

Denise jetait un long cri de joie.

Car Ambroise Coupal souriait en regardant de ses yeux plus clairs ceux qui l’entouraient.

— Retournez, Patriotes canadiens, célébrer votre victoire, dit-il d’une voix presque forte. Je suis mieux, et je sens que la vie revient rapidement. Oh ! Denise, ajouta-t-il avec une expression de gratitude impossible à rendre, merci pour m’avoir sauvé ! Merci, Félicie, ma bonne petite sœur ! Merci, Dame Rémillard ! Merci, vous tous mes amis ! Ce qui me sauve encore ce sont vos cris de victoire que j’ai entendus !…

Et il demeura souriant, heureux en contemplant Denise avec amour.

Elle, câlinement, amoureusement, pencha son beau visage mouillé de larmes sur le sien et d’une voix frémissante de bonheur, elle disait :

— Vis, vis, Ambroise… vis pour ton pays et pour moi… car je t’aime toujours !…

Ah ! quel délicieux tête à tête suivit entre ces deux enfants d’une même race, lorsqu’ils furent demeurés seuls !

Et pendant que leur amour, qu’un sang généreusement répandu avait revivifié, brûlait à nouveau de toutes flammes, dehors, sur le chemin, se poursuivait la célébration de la victoire. Au milieu de clameurs heureuses et de refrains joyeux on pouvait entendre ce cri souvent répété :

— Vivent les Patriotes de Saint-Denis !…


FIN