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Page:Féval - L’Avaleur de sabres.djvu/109

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LES HABITS NOIRS

âges, je lui ferai encore une façon au sabre ou à la canne, ne craignant pas les combats.

« Saladin est bien plus coquin que lui. Il a le sang-froid du traître dans Le Sonneur de Saint-Paul et La Grâce de Dieu.

« La preuve que je ne faisais pas erreur, c’est qu’un beau matin, à Clermont-Ferrand, dans le Puy-de-Dôme, la chérie se mit à chanter je ne sais plus quelle mignonne petite chanson qui fit rire et pleurer madame Canada. Nous la mangeâmes de baisers. Elle s’accoutumait-à nous très bien, et je crois qu’elle nous aimait déjà. Faut dire qu’elle était une idole pour nous ; on l’élevait dans du coton ; Similor aurait voulu qu’on la donne tout de suite à mademoiselle Freluche pour l’exercice et les principes de la corde, mais Amandine et moi nous nous tenions. On fut inflexible, se bornant à lui dire : « Tiens-toi droite et mets tes pieds en dehors », comme aurore d’une éducation prochaine.

« J’ajoute que la caisse n’y perdait rien. En foire, avec un enfant joli et obéissant, vous pouvez remplacer hardiment une troupe de singes qui coûtent des douze à quatorze francs tous les jours, souvent malades et sujets à périr par la poitrine, dont la perte de chaque sujet va dans les cent cinquante francs. Autant vaut diriger le grand Opéra, où la personne a du moins les secours du gouvernement. J’en dis autant des chiens, jamais contents de leur nourriture, quoique bonnes bêtes au fond, et amis des hommes, mais perdus de vermine, par quoi la propreté est incapable dans tous les lieux qu’ils fréquentent.

« Si vous voulez maintenant que je vous donne mon avis sur les ménageries ambulantes, ça fait tout simplement pitié. L’orgueil d’avoir un lion ou un éléphant a ruiné bien des pères de famille, sans parler que l’animal féroce mange toujours son bienfaiteur un jour ou l’autre.

« La Providence l’a voulu en attribuant ses instincts carnassiers au serpent pour qu’il morde, au tigre pour qu’il griffe.

« Pour s’y retirer, dans les bêtes sauvages, il n’y a que les phoques et les moutons mérinos assez patients pour qu’on lui réussisse l’opération de la cinquième patte du phénomène vivant, en bois ou caoutchouc, bien plantée, et que rien ne paraît quand la cicatrice est tenue propre. En plus qu’alors, l’animal valétudinaire manque d’appétit et coûte peu pour la nourriture.

« Le phoque, encore plus avantageux, vit de vieux chapeaux de feutre mou.

« C’est supérieur aux clowns et jongleurs, généralement mauvais sujets. L’homme squelette vous ruine en chatteries ; la femme colosse, lui faut des quatre et cinq livres de veau par repas, avec bière et tabac ; si elle est à barbe, ne m’en parlez pas, elle a des passions que je n’oserais même pas les préciser dans mes souvenirs.

« Eh bien ! tout ça n’est rien auprès des jumeaux siamois, ni des papas qui jouent au volant avec leurs petits. Vous n’avez pas une paire de siamois, bien collés, pour moins de six francs par jour et le café. Faut les servir ; ils sont mal embouchés et passent leur vie à se battre réciproquement l’un contre l’autre.

« Il n’y a pas plus mauvais que la jeune fille encéphale et l’homme qui écrit avec son pied. Pour abréger, le phénomène, c’est la gale, gonflé d’orgueil et méprisant les personnes naturelles bien proportionnées.