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Page:Féval - L’Avaleur de sabres.djvu/146

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L’AVALEUR DE SABRES

Français et Hydraulique, et qui, le lendemain, avait embrassé en pleurant Petite-Reine, sa fillette adorée que, par le fait de lui, Saladin, elle ne devait jamais revoir.

Il n’y avait qu’une seule différence, encore était-elle produite par le costume que portait la Gloriette.

La troisième pensée de Saladin fut un hommage rendu à l’aisance merveilleuse avec laquelle l’ancienne Gloriette portait ce costume nouveau.

— On dirait qu’elle n’a jamais fait autre chose ! grommela-t-il entre ses dents, tandis que les deux beaux chevaux remontaient au pas le faubourg Saint-Honoré.

— Gare ! lui cria un cocher d’omnibus.

Saladin, qui était resté au milieu de la rue, sauta de côté vivement.

— Gare ! lui cria un cocher de fiacre.

Saladin n’eut que le temps de bondir sur le trottoir, et de là son regard, tourné par hasard vers la boutique où naguère il s’était appuyé, rencontra la fenêtre de l’entresol. Le bonhomme noir avait repoussé les persiennes. Il s’accoudait commodément au balcon et suivait d’un œil content mais un peu moqueur la promenade du cavalier et de l’amazone.

Une étrange gaieté entrouvrait sa large bouche et montrait, au milieu de ce visage si sombre, une rangée de dents blanches qui brillaient comme celles d’un carnassier.

Dans ces maisons que l’imagination bâtit à force d’hypothèses et qui tremblent au vent comme des châteaux de cartes, quand une des suppositions fondamentales arrive à devenir une vérité, tout l’édifice se consolide instantanément.

L’identité de la Gloriette, devenue dame et maîtresse de l’hôtel de Chaves, établissait par contrecoup l’identité du bonhomme noir et blanc qui était bien évidemment monsieur le duc de Chaves, surpris dans ses fonctions de mari jaloux.

Saladin ne savait pas encore à quoi cette circonstance pourrait lui servir, et il se demandait pour quelle raison monsieur le duc louait un entresol pour regarder sa femme, tandis qu’il eût pu la voir aussi bien derrière les persiennes de son cabinet.

Il était à la source des renseignements et voulut savoir, car pour les diplomates de sa sorte rien n’est à négliger. Il pesa sur l’éblouissant bouton de cuivre qui mettait en mouvement la sonnette de l’hôtel de Chaves, la porte s’ouvrit aussitôt.

Saladin entra d’un air dégagé et demanda au concierge, bien mieux habillé que lui, s’il était possible de voir monsieur le duc.

— Son Excellence est en voyage depuis deux jours, répondit le fonctionnaire avec majesté, et quand on veut avoir l’honneur d’être reçu par Son Excellence, on écrit pour demander audience.

Saladin remercia, salua et s’en alla. En s’en allant, comme il avait l’habitude de ne rien laisser traîner, il ramassa au coin d’une borne, dans un petit tas de poussière, un objet brillant qui pouvait être en or, et le glissa dans sa poche.

Ainsi le grand monsieur Jacques Laffitte, celui qui demanda un jour pardon à Dieu et aux hommes d’avoir fait la révolution de Juillet, commença-t-il sa fortune légendaire en sauvant une épingle.