Aller au contenu

Page:Féval - L’Avaleur de sabres.djvu/156

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
345
L’AVALEUR DE SABRES
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

« Elle était radieuse de beauté ; l’allégresse de son âme illuminait son visage ; l’avenir n’avait plus d’obstacles : Dieu nous devait le bonheur !

« Avant de me quitter, elle se pencha sur son cheval et me tendit son front charmant, où je déposai le premier baiser. Les arbres de la forêt éclaircissaient déjà leurs feuillages ; on voyait la route de Melun à travers une dentelle de verdure.

« — À demain ! me dit-elle.

« Et je restai seul.

« Le lendemain, elle ne vint pas. J’appris qu’elle avait quitté la petite maison où s’était achevée sa convalescence. Moi-même je repartis pour Paris où mon tuteur m’appelait.

« À Paris, les choses changent d’aspect. Je vis les jeunes gens de mon âge et j’eus pudeur d’une aventure pour laquelle je n’aurais osé chercher un confident.

« Je pensais, en faisant la revue de mes nouveaux amis : auquel d’entre eux pourrais-je dire que j’aime sérieusement, profondément, et pour en faire ma femme, une pauvre fille sans père ni mère, qui gagne de l’argent à danser sur la corde ?

La tête d’Hector se pencha sur sa poitrine et il resta silencieux.

— Vous me l’avez dit à moi, murmura doucement madame de Chaves.

— C’est vrai, prononça Hector d’une voix si basse qu’elle eut peine à l’entendre, et je ne sais pourquoi il me semblait que vous étiez intéressée à le savoir.

Ils échangèrent un long regard et tous deux baissèrent les yeux.

Leurs chevaux reprirent le grand trot.

Ils avaient traversé toute la longueur du bois de Boulogne, et se trouvaient dans le quartier de la Muette.

— Vous ne me parlez plus, murmura madame de Chaves.

— Si fait, répondit Hector avec une sorte de répugnance, j’ai une faute à confesser… Belle cousine, une fois, j’ai eu peur de vous comme de mes amis.

— Voyons cela.

— C’était un de ces jours derniers, lors de la promenade que nous fîmes avec monsieur le duc à Maintenon, vous en calèche, moi à cheval. Il faut bien vous dire que j’ai beaucoup lutté contre cet amour et que, parfois, je me suis cru tout prêt d’être vainqueur.

— Pauvre belle Saphir ! soupira madame de Chaves.

Hector, qui était en avant, se retourna et lui baisa encore la main.

— Vous êtes une sainte, dit-il, et Dieu vous fera heureuse. Ce jour-là, comme nous quittions la forêt de Maintenon, au moment où nous tournions l’angle de la route de Paris, nous avons rencontré la pauvre maison roulante où Saphir habite avec ses parents saltimbanques.

— Je l’ai vue ! s’écria madame de Chaves, et je me souviens que je vous ai dit ; cela ressemble à l’arche de Noé !

— Oui, fit Hector en rougissant, vous avez plaisanté, je suis lâche contre la plaisanterie de ceux que j’aime. La fenêtre de la petite cabane de Saphir était ouverte ; je n’ai pas ralenti le pas de mon cheval et je ne me suis pas même retourné…

— En bonne chevalerie, dit gaiement la duchesse, voici un grand crime,