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Page:Féval - L’Avaleur de sabres.djvu/171

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LES HABITS NOIRS

— Naturellement, répondit Saladin, qui salua.

— Y aura-t-il quelque chose pour moi ?

Saladin salua de nouveau et répéta :

— Naturellement.

— Eh bien, cher monsieur le marquis, dit la somnambule, la personne doit revenir demain. Je lui ferai votre commission et même je l’enverrai chez vous, si vous voulez, quoique l’affaire soit à moi.

Saladin secoua la tête avec lenteur.

— Ce n’est pas cela, murmura-t-il, et je ne suis pas ici pour vous prendre vos affaires. Il y a là-dedans des intérêts engagés, des intérêts majeurs, dont moi seul puis avoir connaissance, à cause de mes nobles relations dans le grand monde. Souvenez-vous de cette fable ingénieuse Le Coq et la Perle ; il y a dans la vie des occasions dont le vulgaire ne peut pas profiter.

— Le vulgaire ! répéta madame Lubin scandalisée.

— Bonne madame, répliqua Saladin avec condescendance, vous êtes une femme comme il faut, c’est certain, mais, vis-à-vis d’un homme tel que moi, vous appartenez au vulgaire.

Puis, se levant et rejetant en arrière sa tête d’oiseau, il ajouta :

— Je cache sous l’apparence d’un simple coulissier de remarquables destinées. Ne vous en étiez-vous pas doutée ?

Madame Lubin, quoiqu’elle ne travaillât pas en foire, appartenait, elle aussi, très énergiquement, à la classe des gens qui vivent d’illusions et respirent le roman par tous les pores.

Comme elle gagnait sa vie à jouer un rôle, les choses théâtrales avaient un grand empire sur elle. Son regard changea d’expression, tandis qu’elle contemplait Saladin, grandi d’une demi-coudée.

— C’est vrai, balbutia-t-elle, que vous avez quelque chose d’étonnant ! Et mon docteur n’aurait pas pris la porte comme cela pour tout le monde. Qu’est-ce qu’il y a pour votre service ?

Saladin répondit :

— Qui sait si cette soirée n’est pas pour vous l’aurore d’une position fixe et honorable ? Mettez-vous là, devant ce guéridon, et veuillez écrire ce que je vais vous dicter.

Madame Lubin, sans se faire prier, s’assit auprès de la table et disposa tout ce qu’il fallait pour écrire.

— Je suis, dit-elle ; on ne sait pas vous résister, monsieur le marquis.

Mais Saladin se promenait de long en large dans la chambre, et paraissait méditer laborieusement.

Il avait l’air d’un poète qui va enfanter un chef-d’œuvre.

Et par le fait il se disait :

— La chose doit être soignée et propre à me planter là-dedans, droit et solide comme un mât de cocagne ! Pas de paroles inutiles ! il faut frapper la dame, et qu’elle passe toute la nuit à rêvasser de moi comme si j’étais un casse-tête chinois.

— Eh bien ? fit la somnambule.

Saladin vint se mettre debout devant elle et dicta :


« Madame,

« Ma science m’a fait savoir le nom et la demeure de la personne respectable qui m’a fait l’honneur de me consulter.