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Page:Féval - L’Avaleur de sabres.djvu/277

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LES HABITS NOIRS

Soit par suite de l’orage, soit que la main de l’homme y fût pour quelque chose, les deux becs de gaz qui étaient à droite et à gauche du jardin de l’hôtel de Chaves ne brûlaient plus. Il y avait là un espace d’une cinquantaine de pas qui semblait noir comme un four.

Au milieu de cet espace sombre et juste en face de la grille, une allumette chimique cria, puis flamba.

Ce fut tout. Personne ne se montra dans le jardin, au-delà duquel on voyait briller plusieurs fenêtres de l’hôtel, malgré l’heure avancée.

Une seconde tentative du même genre eut le même résultat.

C’était Similor en personne qui donnait ainsi le signal convenu, en protégeant l’allumette sous l’abri de son chapeau.

— La demoiselle aura eu peur de s’enrhumer, grommela-t-il. C’est pourtant une jolie nuit pour travailler !

Un œil habitué à l’obscurité aurait pu voir que Similor n’était pas seul. Autour des arbres voisins, il y avait des ombres qui se mouvaient, et un homme, courbé sous la pluie, marchait à pas de loup le long de la grille.

Du bout de l’avenue qui ouvre sur la place de la Concorde les deux fiacres venaient.

L’homme qui marchait le long de la grille s’arrêta en poussant une exclamation d’étonnement.

— La porte est grande ouverte ! murmura-t-il.

— Bah ! dit Similor. Entrez voir, Marchef, mais pas d’imprudence !

Coyatier entra dans le jardin tout noir, et disparut au bout de quelques pas.

Les deux fiacres arrivaient. Similor alla vers la portière du premier et raconta ce qui venait de se passer.

— Il y a une heure que nous sommes ici, dit-il, et de cinq minutes en cinq minutes, j’ai donné le signal. Rien n’a bougé.

En ce moment, Coyatier revenait de son excursion. Il dit :

— La porte de la maison est grande ouverte aussi.

— Que faire ? demanda Similor.

La portière du premier fiacre s’ouvrit, et Saladin sauta dans l’eau qui baignait l’allée.

— Venez, messieurs, ordonna-t-il à ceux qui restaient dans les voitures.

L’instant d’après, sous un toit formé par six parapluies, les membres du Club des Bonnets de soie noire délibéraient.

Les avis étaient partagés ainsi dans ce conclave : Comayrol, le bon Jaffret, le Dr Samuel et le Prince lui-même opinaient pour qu’on s’en allât. Mais Saladin, seul de son bord, leur ordonna de rester, et ils restèrent.


XIX

Aventures de nuit


Nous avons laissé mademoiselle Guite-à-tout-faire dormant paisiblement auprès de la duchesse évanouie. Mademoiselle Guite ronfla longtemps de tout son cœur. Quand elle eut cuvé sa nuit d’Asnières et son déjeuner de Bois-Colombes, elle s’éveilla dans un très joli boudoir qui était la dernière pièce du pavillon, en retour sur le jardin.