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Page:Féval - L’Avaleur de sabres.djvu/66

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L’AVALEUR DE SABRES

sont pas de la vieille ferraille, en gilet de satin et cravate de batiste, dans les salons des premières sociétés, pour soutirer des billets de mille, au lieu d’arracher des gros sous. Papa Similor, avant d’être une ganache, a connu le fil, fréquentant des banquiers et des colonels. Je lui tirerai bien quelque jour le fin mot de sa grande mécanique du Fera-t-il jour demain. C’est mort ou ce n’est pas mort, cette chose des Habits Noirs. Si ce n’est pas mort, on s’y fourre ; si c’est mort, on peut la ressusciter.

Une plainte s’exhala des lèvres de Petite-Reine.

— La paix ! fit-il rudement.

— Oh ! mère ! gémit l’enfant, viens, viens, je t’en prie !

— La paix ! répéta Saladin.

Justine eut comme une faible convulsion, puis elle ne bougea plus.

Saladin releva un des stores pour la regarder mieux.

— Partie ! dit-il, bonsoir les voisins ! Ça va se réveiller artiste et première élève de mademoiselle Freluche, seule héritière de madame Saqui.

— N’empêche, s’interrompit-il pour reprendre le cours de ses méditations, que tout dépend de la position qu’on occupe. Il y en a qui raflent des boisseaux d’or sans risquer le quart de ce que j’affronte, moi, pour grappiller cent francs. Seulement, ça vous fait la main, et il faut commencer par le commencement.

Le fiacre s’arrêtait devant le numéro 17 de la rue Saint-Paul.

— Cocher, dit-il, mon petit malade s’est endormi sur mes genoux, je ne veux pas le réveiller pour rien ; voyez donc voir si c’est ici que demeure madame Guérinet, rentière.

Le cocher quitta son siège et revint au bout d’un instant. Quand il mit la tête à la portière, Saladin avait repris sa coiffure de béguine et tenait Justine dans ses bras.

Madame Guérinet, rentière, était, bien entendu, inconnue dans la maison. Saladin parut vivement contrarié et dit avec un gros soupir :

— Que voulez-vous, il y a des personnes qui ne sont pas honnêtes. C’est une fausse adresse, quoi, qu’on m’a donnée. Conduisez-nous au coin du boulevard de Montreuil et de l’avenue des Triomphes… Voyez si c’est pâlot, ce pauvre trésor !

— Une jolie petite fille, dit le cocher.

— C’est un garçon, mais c’est si mièvre ! tout le monde le prend pour une fille.

Il embrassa l’enfant qui était entortillé dans le vieux châle, et le cocher reprit son siège.

La route entre la rue Saint-Paul et le boulevard de Montreuil qui touche à la barrière du Trône fut employée par Saladin à défaire complètement la toilette de Petite-Reine. Il ne lui laissa que sa jupe de dessous, sans crinoline. Dans le courant de cette opération, il aperçut le signe que l’enfant portait au côté droit de sa poitrine auprès de l’épaule droite.

— Tiens ! tiens ! dit-il en le considérant curieusement : une cerise ! et une belle, ma foi ! Il paraît que la maman est portée sur sa bouche. Voilà une marque qui serait bien gênante si elle était sur la figure. Heureusement que ça ne se voit pas, à moins d’être fièrement décolletée !

Tout en causant ainsi avec lui-même, de bonne amitié, il laissa de côté la cerise, pur objet de curiosité qui ne se pouvait point vendre, pour détacher une chaînette d’or à laquelle pendait une croix du même métal.