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Page:Féval - L’Avaleur de sabres.djvu/80

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L’AVALEUR DE SABRES

Dieu devait entendre, pourtant !

Lily fit un vœu, elle en fit dix, promettant des choses folles et si touchantes que le bienfait des pleurs lui revint.

Elle s’affaissa, ivre de larmes, dans une sorte de repos, mais cherchant encore avec l’entêtement de toutes les ivresses à achever la prière commencée.

— Si je pouvais prier, se disait-elle, prier bien ! Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien. Mon Dieu ! où est-elle ? et que lui répond-on quand elle dit en pleurant : « Petite mère ! petite mère !… » Pardonnez-nous nos offenses, comme vous pardonnez à ceux qui nous ont offensés. Elle n’avait offensé personne, mon Dieu ! et souvenez-vous ! tout son pauvre petit argent était pour les pauvres.

— Elle est plus calme, pensait Médor.

Mais il tressaillit de la tête aux pieds au son d’une voix qui lui sembla autre et qui éclata comme une imprécation, criant dans le silence :

— C’est lâche ! c’est cruel ! c’est barbare ! Pourquoi ne pas écraser d’un coup, d’un seul coup, Dieu ! Dieu fort ! je suis faible ; je ne peux pas me défendre, ni la défendre. Une femme ! une enfant ! oh ! c’est cruel ! cruel ! Je veux l’enfer, que je n’ai pas mérité. Je veux te punir par mon injuste souffrance, Dieu aveugle ! Dieu sourd !

La voix se brisa, et ce furent des gémissements inarticulés.

Puis quelque chose de doux comme un chant :

— Pardon ! je sais bien que vous me pardonnez, Dieu de bonté, Dieu de miséricorde ! Je souffre trop, vous voyez cela, et punirez-vous la pauvre innocente de mon blasphème ! Je suis folle, mais je suis à genoux, les mains jointes, les yeux en pleurs ; je prie ! je prie ! donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien… pardonnez-nous… ne nous induisez point en tentation, mais délivrez-nous du mal. Ainsi soit-il.

Elle se traîna, toujours agenouillée, jusqu’au crucifix qui était dans la ruelle de son lit. Au-dessus du crucifix il y avait une image de la Vierge. Elle tendit ses deux mains tremblantes.

— Sainte Vierge, reprit-elle, ranimée et belle jusqu’au sublime dans l’ardeur de sa passion maternelle, Sainte Vierge, vous êtes mère. Dites à Dieu de me pardonner. Je vous salue, Marie, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous, vous êtes bénie entre toutes les femmes, et le fruit de vos entrailles est béni. Ah ! vous me souriez, bonne Vierge, et l’enfant Jésus me sourit dans vos bras. Sainte Marie, mère de Dieu, priez pour nous, pauvres pécheurs, maintenant et à l’heure de notre mort. Ainsi soit-il.

Ce dernier mot fut coupé par un cri d’allégresse.

La Gloriette s’était dressée comme un ressort. Elle rejeta en arrière les boucles de ses cheveux et toute sa merveilleuse beauté rayonna l’espoir qui venait d’envahir son âme.

— C’est vous ! c’est vous dit-elle en portant ses lèvres jusqu’aux pieds de la Vierge, c’est vous qui m’inspirez cela, sainte Marie adorée ! merci ! merci ! J’avais oublié, moi qui n’ai plus ni mémoire ni pensée. La marque ! n’est-ce pas un miracle du bon Dieu cette cerise qu’elle porte à la poitrine ? Et je ne l’ai pas dit ! et vous me l’avez rappelé ! Je vais courir, Sainte Vierge, je vais réparer mon oubli, et ma Justine sera retrouvée !