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Page:Féval - L’Avaleur de sabres.djvu/85

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LES HABITS NOIRS

Au fond du berceau, entre les rideaux, Lily suspendit ce portrait photographié où elle semblait tenir une ombre dans ses bras.

Et c’était un symbole navrant, ce portrait de jeune mère qui berçait un nuage.

Lily le regardait parfois pendant des heures entières, cherchant parmi cette brume des lignes, des traits, une image.

Et l’image venait à force d’être appelée : Lily revoyait Petite-Reine, hélas ! comme elle l’avait vue aux lueurs de la lune sous le bosquet du Jardin des Plantes.

C’était un jeu terrible et charmant qui tuait la pauvre Gloriette, mais qui lui donnait de si doux rêves !

Quand elle avait fini de contempler sa chimère, elle baisait le portrait et croisait sur ses genoux ses deux mains, qui n’avaient plus de forces.

Puis, comme si elle se fût reproché sa paresse, elle se levait, n’ayant plus le poids d’un enfant, mais trop lourde encore pour la faiblesse chancelante de ses jambes ; elle s’agitait, elle rangeait, non point sa chambre, mais le berceau, l’autel — toujours !

Une fois, la laitière vint, la pauvre bonne femme. La Gloriette lui montra le bouquet de lilas desséché. Elles ne se parlèrent point. La laitière dit en bas parmi les larmes qui l’étouffaient :

— Ça fait l’effet d’un petit enfant qui souffre pour mourir. Elle est redevenue un petit enfant, et si jolie avec ça, et si douce ! ça fend le cœur ! On chercherait longtemps avant de trouver une parole qui puisse exprimer davantage.

Lily était un petit enfant.

Sans cela elle n’aurait pas pu supporter une heure de ce poignant martyre.

Elle pensait peu, en dehors de ce culte puéril et admirable rendu au berceau de Justine.

Elle ne sortait point. L’idée de chercher ne lui venait plus. Il ne faut pas dire qu’elle eût perdu tout espoir pourtant ; l’espoir ne meurt jamais dans le cœur d’une mère ; mais elle ne s’efforçait plus, elle espérait comme on rêve. C’était un petit enfant, un pauvre petit enfant.

Médor travaillait pour elle ; entre eux deux il y avait un accord tacite : Lily ne s’étonnait plus de le voir dans sa chambre. Elle ne s’était jamais demandé pourquoi cet homme la servait.

Médor tenait tout en ordre ; il balayait, il allait acheter la nourriture. On vivait avec l’argent du voile brodé. Cela pouvait durer longtemps ; Lily mangeait moins qu’un oiseau et Médor était fait au pain sec.

Il sortait chaque matin et chaque soir ; il allait aux renseignements, il cherchait. Une chose certaine, c’est que la vieille femme au voile bleu eût passé un méchant quart d’heure s’il l’avait rencontrée sur son chemin.

C’était celle-là qu’il guettait. Il avait son signalement dans la tête, il se croyait sûr de la reconnaître sous n’importe quel déguisement.

Et il se disait sans ambages ni circonlocutions :

— Je lui serrerai le cou jusqu’à ce qu’elle ait avoué où elle a mis la petiote, et par après je l’étranglerai.

Il eût fait comme il le disait, avec plaisir.

On le connaissait désormais au bureau de police, et on le redoutait. Les