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Page:Féval - L’Avaleur de sabres.djvu/88

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L’AVALEUR DE SABRES

Il n’acheva pas. La Gloriette continua en se parlant à elle-même.

— Non, ce n’est pas assez ; j’aurais dû ajouter : « Ce n’est pas pour vous retenir près de moi. Dès que vous m’aurez aidée à retrouver l’enfant, vous serez libre. »

— L’aimez-vous bien ? balbutia Médor malgré lui.

Lily le regarda.

— Je ne sais pas, répondit-elle. C’est son père.

Elle baisa les petits souliers et leur chercha une place sur l’autel.

Puis elle dit encore :

— On doit parler d’elle au Jardin des Plantes, bien sûr. Je pensais cette nuit : mère Noblet va tous les jours dans le bosquet avec ses petits ; c’est à elle qu’on doit dire tout ce qu’on apprend, tout ce qu’on sait, tout ce qui court… Si vous alliez causer avec mère Noblet ?

Médor était déjà debout. Il mit sa casquette, passa la porte et descendit l’escalier quatre à quatre.

— Quoique, reprit Lily dont les yeux s’éteignirent, mère Noblet est une bonne vieille, elle n’aurait pas attendu ; si elle savait quelque chose, elle serait venue me voir…

— Quinze jours ! s’interrompit-elle. Mon Dieu ! mon Dieu ! quinze jours que je ne l’ai plus !

Elle se laissa tomber sur une chaise, auprès du berceau et resta immobile, les mains jointes sur ses genoux.

Elle était merveilleusement belle avec la pâleur presque transparente de ses joues, encadrées dans le splendide désordre de ses cheveux. Le jeûne involontaire avait agrandi ses grands yeux. Il y avait je ne sais quoi d’attendrissant et de charmant dans la désolation même de son sourire. Elle avait ce rayonnement de suave douleur qui fait adorer la Mère des larmes.

Elle demeura ainsi longtemps, muette et perdue dans ce rêve, toujours le même, qui ressuscitait les joies mélancoliques de son passé.

Le jour allait baissant. Des pas se firent entendre dans l’escalier.

— Déjà ! dit-elle, en pensant que c’était Médor.

Mais à peine eut-elle prononcé ce mot que son cou gracieux se tendit en avant, tandis qu’un peu de sang montait à ses joues.

Ses yeux s’ouvrirent tout larges.

— Ce n’est pas Médor ! murmura-t-elle. Si c’était…

Le nom de Justin vint jusqu’à ses lèvres, épanouies par cette joie, vive entre toutes : la venue d’un bien qu’on n’espérait plus.

Elle se leva électrisée par un espoir si grand qu’il valait presque une certitude. C’était Justin, et avec Justin, Petite-Reine serait bien vite retrouvée !

On frappa.

— Entrez !

On entra.

La Gloriette retomba, brisée, sur son siège.

Ce n’était pas Justin.

La Gloriette reconnut dans le nouvel arrivant l’homme au teint bronzé, à la barbe et aux cheveux noirs comme du charbon, qui s’était trouvé plus d’une fois sur son passage quinze jours auparavant, qui s’était assis non