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Page:Féval - L’Avaleur de sabres.djvu/90

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L’AVALEUR DE SABRES

Lily essayait de réfléchir et de raisonner.

— J’ai cru que c’était vous, murmura-t-elle au bout d’un instant, vous qui l’aviez enlevée.

— C’eût été moi, répondit le duc, si la pensée m’était venue que je vous aurais amenée à moi en vous prenant votre enfant.

Lily frissonna, mais elle sourit.

— Et vous ne l’avez plus jamais revue, dit-elle encore, la voleuse d’enfants ?

— Jamais. J’ai fait ce que j’ai pu, pourtant. Depuis deux semaines, il ne s’est pas écoulé un seul jour sans que j’aie stimulé par de l’argent ou par des promesses ceux qui ont charge de rechercher les criminels.

Il disait vrai, la Gloriette vit cela dans ses yeux. Elle lui tendit la main. Le duc la porta à ses lèvres.

— Pourquoi m’aimez-vous ainsi ? demanda-t-elle une seconde fois.

— Je ne sais, repartit le duc, dont la voix tremblait. Je vous ai vue, voilà tout ; vous teniez votre petite par la main. Il y a peut-être des femmes aussi belles que vous, je ne les ai pas rencontrées. Je descendis de voiture et je vous suivis jusqu’à votre maison. Depuis lors je n’ai pas eu d’autre pensée que vous.

Lily murmura :

— Vous m’aimez comme j’aime Petite-Reine.

— Et j’aimerais Petite-Reine comme vous, prononça tout bas le duc.

Sa voix était véritablement douce et bonne.

Lily songeait laborieusement.

— Et…, fit-elle encore en hésitant, vous n’avez rien découvert ?

Elle n’osa pas regarder le duc en lui adressant cette question, dont elle devinait l’inutilité. Si elle l’eût regardé, elle aurait remarqué un trouble dans ses yeux qui se baissèrent.

— Si fait, répondit-il en affermissant sa voix, j’ai découvert quelque chose.

Lily appuya ses deux mains sur son cœur et n’interrogea plus. Elle attendait, retenant son souffle pour ne pas perdre une parole.

— Écoutez-moi, dit le duc de Chaves résolument, je vais plaider ma cause et la vôtre. Nos deux bonheurs n’en feront qu’un, il le faut, sinon ils se changeront en deux malheurs. Je ne sais pas qui vous êtes, ni votre passé ; peu m’importe, j’ai de la richesse et de la noblesse pour deux ; je ne veux de vous que votre avenir. Quand j’ai commencé ma recherche, je comptais venir à vous avec votre chérie dans mes bras et vous dire : « La voici, je vous la rends, payez-moi en consentant à devenir la duchesse de Chaves… »

— La duchesse de Chaves ! balbutia Lily ; moi !

Elle n’était pas éblouie, non. Il est des détresses si profondes que l’ambition y meurt, même cette pauvre ambition naturelle à tout être humain, ce rêve où la bergère épouse un roi, et qui ne se réalise que dans les contes de fées.

Je dis vrai : chacun porte en soi cette ambition enfantine ; elle est plus ou moins avouée, mais nul ne s’en sépare qu’à l’heure de mourir.

Lily ne l’avait plus cette ambition, parce que Lily était une morte. Si elle vivait, c’était en l’espoir de retrouver sa fille. Elle eut peur. Cet