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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/18

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eussiez reconnu, parmi la foule qui encombrait la chaussée, les types divers de toutes les races humaines.

Mais, entre toutes ces physionomies disparates, on distinguait facilement les hôtes ordinaires du Ghetto de Francfort : — on les reconnaissait au caractère uniforme de leurs traits aquilins et pointus, surmontés du haut bonnet de fourrure, bordés de clinquants rougis ; on les reconnaissait encore aux excentricités parcimonieuses de leur toilette, qui bravait la mode avec un sans-gêne intrépide, et semblait vouloir soutenir un assaut de misère contre les murailles assombries de leurs retraites…

De gros nuages couraient au ciel, poussés par de brusques rafales. De courtes averses se précipitaient, lançant des salves de grêlons contre les châssis plombés des fenêtres. — Puis un rayon de soleil se faisait jour tout à coup entre les deux rangs de toitures festonnées. — La rue, alors, éclairait ses noirs recoins ; on apercevait les croisées aux étroites ogives, avec leurs carreaux rendus opaques par la poussière. On pouvait lire les numéros des maisons et les petites enseignes, étalant au-dessus des boutiques basses, un long chapelet de noms hébreux.

Puis un nuage épais couvrait la pauvre échappée de ciel. L’ombre se faisait. Tout redevenait obscur, et l’on voyait çà et là, de faibles lueurs de lampes briller au travers des vitrages jaunis, dans le lointain des arrière-boutiques…

Le jour était bien peu avancé pourtant. Dix heures du matin venaient de sonner aux nombreuses églises de la ville chrétienne.

En un de ces moments où les ténèbres tombaient tout à coup, comme si la nuit eût empiété sur l’heure accoutumée, Fritz déboucha dans une rue plus noire et plus fangeuse que celles d’où il sortait.

Il regarda tout autour de lui comme un homme égaré. Ce qu’il vit n’éveilla en lui aucun souvenir. — C’était un ruisseau profond, bordé de maisons hautes et tailladées, dont les toits amis s’embrassaient étroitement. — Il fit quelques pas encore, puis il s’arrêta découragé, renonçant à trouver son chemin sans guide.

— La Judengasse ? demanda-t-il au premier passant qui vint à croiser sa route.

— Vous y êtes, répliqua le passant.