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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/276

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On dit que l’officier de marine à jeun est généralement un peu fat. Julien, en descendant de voiture, avait passé une heure aux Frères-Provençaux. Il se sentait de force à aimer tous les dominos du bal.

Franz baissait la tête d’un air distrait.

— Son regard me suit ! murmura-t-il en se parlant à lui-même. Il me semble le voir encore… C’est un fier cavalier, ma foi ! quand j’aurai son âge, je voudrais avoir une tête comme cela !

— Bah ! fit Julien, ce costume allemand vous donne des airs de héros de théâtre !… Mais j’y songe, Franz, ma mère est de plus en plus liée avec la maison de Geldberg, et moi-même vous savez que j’ai quelque crédit, au moins sur un des membres de la famille.

— Est-ce que vous songez toujours à épouser la comtesse Esther ? demanda Franz.

— Toujours, répliqua l’enseigne, nous sommes constants, sinon fidèles, nous autres marins… Esther est la plus belle femme de Paris !… Mais il ne s’agit pas de cela : je voulais dire qu’on pourrait bien tenter une démarche auprès des Geldberg et vous réconcilier avec eux.

— Non, répondit Franz.

— Cependant vous venez de me faire voire confession : vous n’avez pas de fortune…

— Je n’ai rien… mais je ne veux pas.

— À votre aise !… c’est pourtant cet entêtement-là qui m’a fait vous aimer, petit Franz !… Vous n’étiez qu’un enfant, quand je vous ai rencontré pour la première fois dans les salons de Geldberg ; mais déjà vous disiez : Je veux… Et moi qui ne sais guère vouloir…

Franz l’interrompit en lui serrant le bras.

— Regardez, dit-il.

Son doigt étendu montrait l’autre extrémité du foyer.

— C’est notre Allemand ! s’écria Julien dont l’œil avait suivi la direction indiquée ; — seulement il a changé de costume…

— Et il cause avec elles ! dit Franz.

Julien mit sa main devant ses yeux pour mieux voir.

Le personnage que venait de désigner Franz causait en effet avec deux dames, enfouies dans des dominos de satin, l’un bleu, l’autre noir. C’était