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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/310

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marchands lui tient lieu de courage et de vertu. Il est dur à lui-même et ne se donne point de trêve. Les revendeuses du carré du Palais-Royal employaient le temps qui leur restait, entre le bal et l’ouverture du marché, à plier minutieusement leur robe de soie, changée en domino, à serrer le peigne doré qui fixait leurs cheveux, le collier, la broche et le bracelet qui venaient de les faire si ressemblantes à des princesses : car les marchandes du Palais-Royal ont tout cela et bien d’autres choses encore, quoiqu’elles mangent des ragoûts à trois sous la portion, et qu’elles boivent du moka tout sucré à un sou la tasse.

L’avarice est comme la misère ; elle fait généralement bon ménage avec la vanité.

Les commerçantes du pavillon de Flore, moins élégantes que leurs voisines, avaient moins de besogne. Il n’y avait qu’un pas entre leur toilette de bal et leur costume de tous les jours.

Quant aux danseuses que produisent le Pou Volant et la Forêt-Noire, il n’en faut point dire de mal ; mais l’aristocratie du Temple affirme qu’elles ne font pas partie de la bonne société.

Quoi qu’il en soit et sans acception de carré, on aurait pu reconnaître parmi les premières marchandes installées à leur place les dames les plus intrépides du Wauxhall et de l’Ambigu.

Presque toutes les échoppes avaient pris part à la fête. La journée allait se passer à raconter longuement les succès obtenus et les conquêtes accomplies.

Ce qu’on désire surtout au Temple, c’est d’être pris pour ce que l’on n’est point. Sous le masque, on se fait passer pour la femme d’un avocat, pour l’épouse d’un huissier, pour la compagne d’un garde du commerce ; quelques-unes se disent baronnes ou droguistes de la rue des Lombards. Les plus ambitieuses usurpent hardiment le titre de lorettes.

Et toutes s’amusent tant qu’elles peuvent, d’abord pour s’amuser, ensuite pour raconter, avec une abondance de langue au-dessus de tout éloge, comme quoi elles se sont amusées.

Il y avait pourtant une maison, donnant sur le marché du Temple, où le vent de folie n’avait point pénétré cette nuit. C’était la demeure du marchand d’habits Hans Dorn.