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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/333

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— Jean, murmura-t-elle d’un accent de reproche ; vous me dites bien souvent que vous m’aimez, et pourtant vous n’avez pas confiance en moi !

Le joueur d’orgue avait les yeux baissés, la joue pâle, et un sourire contraint autour de la lèvre.

— Si j’avais du bonheur, Gertraud, répondit-il d’une voix qui tremblait légèrement, — Dieu sait qu’il serait tout à vous !… mais j’aime tant à vous voir heureuse et gaie !… pourquoi vous mettre de moitié dans ce que je souffre !…

Les sourcils de la jeune fille se froncèrent.

— Vous m’avez menti, dit-elle ; vous ne m’aimez pas !

Le pauvre Jean Regnault joignit ses mains, et tout son amour, dévoué, respectueux, sincère, vint se peindre dans son regard.

— Oh ! Gertraud ! balbutia-t-il doucement, ne me dites pas cela ! Je fais mal de vous aimer, peut-être, car je n’ai rien à vous donner, sinon mon chagrin et ma misère… mais je vous aime, mon Dieu ! je vous aime comme un pauvre fou, et malgré moi !

Gertraud fit semblant d’avoir plus de colère encore ; sa jolie tête se détourna pour cacher l’émotion qui la gagnait.

— Quand on aime, dit-elle en faisant effort pour garder sa froideur, — on se confie… mais, pour vous, il n’en est pas ainsi, Jean ; vous ne me dites rien, et c’est par des étrangers que j’apprends le danger qui menace votre mère !

Le joueur d’orgue cacha son visage entre ses mains.

— Est-ce donc déjà la nouvelle du Temple ! s’écria-t-il avec amertume ; — moi, je ne le sais que d’hier, Gertraud !… mais il est des gens qui aiment à deviner la détresse d’autrui !… Qui vous a dit cela, et que vous a-t-on dit ?

La voix de Jean Regnault exprimait une angoisse si amère, que les larmes vinrent aux yeux de Gertraud.

Elle balbutia. Des paroles confuses tombèrent péniblement de sa lèvre.

Jean Regnault comprit, car ses jambes chancelèrent, et ses mains couvrirent de nouveau son visage bouleversé.

Il mit à terre son orgue qu’il ne pouvait plus soutenir, et s’assit, faible, sur la première marche de l’escalier.