Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/335

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Jean obéit, comme toujours ; mais Gertraud ne parla point : elle semblait ne plus oser.

Ils étaient là, les deux beaux enfants, serrés l’un contre l’autre, et assis sur la marche poudreuse d’un pauvre escalier.

Bien d’autres rendez-vous, donnés et reçus la nuit précédente, avaient lieu sous les draperies de soie, dans le discret silence des boudoirs et sur le velours élastique des divans.

Mais, nulle autre part, on n’aurait trouvé plus de dévouement et plus d’amour ; nulle autre part, on n’eût trouvé des cœurs plus généreux et plus sincères…

Jean et Gertraud s’aimaient de toute la force de leur âme. Sur cette marche vermoulue, entre les murs humides et gris du misérable escalier, il y avait ce qu’on n’eût point rencontré peut-être en de plus riches demeures : un cœur de vierge, délicat et pur, un cœur de jeune homme fier et franc, une tendresse partagée, un dévouement pareil, deux consciences qui n’avaient rien à cacher, qui pouvaient montrer avec orgueil leurs plus intimes mystères…

Pourtant Gertraud hésitait toujours à prendre la parole. Elle changeait de couleur, et sa bouche tremblait, comme si elle avait eu honte du secret qui se pressait sur sa lèvre.

Jean la regardait avec inquiétude.

— J’ai quelque chose à vous dire, répéta-t-elle après un silence ; — c’est une prière… et, si vous me refusiez, je serais bien malheureuse !

— Comment pourrais-je vous refuser, Gertraud ?

La jeune fille essaya de sourire, et ses doigts se glissèrent dans son sein.

Jean ne prit point garde à ce mouvement.

— Vous me promettez de dire : Oui ? poursuivit Gertraud d’une voix caressante.

— Je vous le promets, répondit le joueur d’orgue.

Gertraud tira vivement de son sein ses doigts qui tenaient une bourse ; le sourire, ébauché sur la lèvre de Jean Regnault, disparut.

— Vous m’avez promis de ne pas me refuser, dit Gertraud les yeux baissés et d’un ton de prière ; — prenez cet argent et allez le donner à votre mère.