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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/348

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Le jeune homme, tout entier à sa joie, n’avait point pris garde jusqu’alors à l’inquiétude de sa mère. La pauvre vieille était dans le même cas. Elle avait tant de peur de la prison ! L’espoir d’échapper à ce malheur suprême absorbait toutes ses pensées depuis l’arrivée de son petit-fils.

Mais les paroles de Victoire la frappèrent. Les scrupules de sa vieille probité s’éveillèrent en elle énergiquement. Elle eut honte de sa préoccupation égoïste, et son regard se fixa sur Jean sévère et inquiet, comme celui de sa bru.

Elles avaient maintenant toutes deux, la même crainte.

Jean baissait les yeux sous leurs regards croisés, et un rouge plus épais montait à son visage.

Les scrupules qu’il avait eu tant de peine à vaincre se révoltaient au fond de sa conscience.

Il n’osait point répondre.

— Parlez, Jean, dit l’aïeule d’un accent d’autorité.

Jean ne parla point.

— Mon fils… mon pauvre enfant ! murmura Victoire d’une voix étouffée ; — ce malheur-là serait le plus grand de tous !…

Devant cette accusation vaguement formulée, Jean se redressa offensé ; mais, au fond de son cœur noble, il avait tous les instincts de pudeur, et ce fut le front bas comme un coupable qu’il balbutia le nom de Gertraud.

L’idiot éclata de rire.

Victoire respira longuement.

— Et cet argent est bien à elle ! poursuivit le joueur d’orgue ; — c’est le fruit de son travail, ajouté aux dons de son père.

Il n’osait point relever les yeux. Sa mare l’attira contre son cœur et le baisa au front.

— Jean, mon pauvre Jean ! murmurait-elle ; pardonne-moi de t’avoir soupçonné !

Jean lui rendit ses baisers et se sentit absous devant son sourire.

L’aïeule était rentrée dans sa méditation triste. Elle avait fait trêve un instant à la pensée qui la dominait sans cesse, mais cette pensée revenait victorieuse et ne lui laissait point le temps de se réjouir, à la vue de son petit-fils pur de tout reproche.