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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/391

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Elle alla même plus loin, et fit quelques ouvertures touchant le mariage de son fils avec la comtesse Esther.

Il y avait bien la différence des religions et des origines ; mais, après tout, Esther était la veuve d’un pair de France, et madame d’Audemer n’avait jamais eu le cœur chevaleresque des Bluthaupt.

Son indigence l’avait faite bourgeoise. Pendant quinze ans de sa vie, elle eût donné le blason de ses pères, avec les titres de son mari, pour quinze cents francs de rente.

D’ailleurs Julien aimait la comtesse Esther.

Les deux affaires marchaient de front et assez bien. Seulement, Denise, qui n’avait point été consultée encore officiellement, ne paraissait pas avoir une impatience très-marquée de joindre son sort à celui de M. le chevalier de Reinhold.

Bien plus, sa répugnance à rencontrer le chevalier était si grande, qu’elle avait cessé presque entièrement de fréquenter l’hôtel de Geldberg, où elle avait pourtant une amie. Lia et elle ne se connaissaient que depuis un an, mais elles s’aimaient, et il fallait que la répulsion de Denise fût bien vive, pour qu’elle abandonnât ainsi la pauvre Lia dans sa solitude.

Elle connaissait les projets de sa mère, et quand celle-ci lui touchait quelques mots de mariage, elle devenait triste.

Mais les jeunes filles sont toutes ainsi faites ; — c’est du moins ce que disent les femmes qui, côtoyant la quarantaine, ont intérêt à ne plus se souvenir…

Ce matin, le visage de Denise était plus mélancolique encore que de coutume. Ce qu’il y avait en elle de faible et de frêle s’accusait davantage ; sa taille trop svelte s’inclinait ; ses grands yeux allanguis s’entouraient d’un cercle bleuâtre ; son front pâle se courbait sous le poids d’une peine mystérieuse.

Denise s’asseyait ainsi parfois au déjeuner, avec un air de fatigue et de souffrance. Madame d’Audemer la déclarait alors malade, et lui faisait boire des potions.

Le lendemain, Denise revenait souriante et fraîche, et plus belle ; la jeunesse avait repris le dessus. Madame d’Audemer pensait l’avoir guérie.