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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/486

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» La plus jeune est encore une enfant. Elle ignore tout ce qui se passe dans la maison, et ses sœurs n’ont pas eu le temps de la perdre… »

Pour la première fois, depuis le début de l’entretien, l’œil de Rodach s’anima légèrement, et laissa percer de l’intérêt.

— La seconde, poursuivit le docteur, serait une excellente femme peut-être, si elle n’avait point de sœur aînée ; cette sœur aînée a pour mari un agent de change qui était riche et qu’elle a ruiné… Elle est belle comme un ange et méchante comme un diable… Si un compte pouvait s’établir entre elle et la maison, nous aurions bien à l’heure qu’il est quinze cent mille francs ou deux millions en caisse.

— Avait-elle donc une quatrième clef ? demanda le baron.

— Non, répondit Mira, mais elle se servait de celle de l’un de nous.

— Et que pouvait-elle faire de tout cet argent ?

— Elle est joueuse, mais elle gagne plus souvent qu’elle ne perd, et je la crois bien riche !… Elle doit avoir dans Paris un agent qui place sous un nom d’emprunt les sommes énormes qu’elle détourne journellement… C’est une femme étrange… un caractère fort, un esprit d’élite et point de cœur… ou du moins pas de pitié ! se reprit le docteur en appuyant son front contre sa main ; — car il y a en elle un amour profond, qui aurait pu être une vertu et qui l’a poussée plus avant dans le vice… C’est un être bizarre qui a deviné le mal et qui aurait compris le bien, une nature audacieuse et bien résolue, sachant tout oser et tout feindre, femme par le caprice désordonné, par la passion emportée, homme par la volonté indomptable, démon par l’astuce froide et la patience de tromper.

Le visage du docteur avait perdu ce masque de pédantisme glacé qui le couvrait d’ordinaire. Il y avait autour de ses lèvres un sourire amer et triste ; ses yeux rêvaient et les paroles tombaient comme malgré lui de sa conscience.

— Je l’ai connue enfant, poursuivit-il avec lenteur et d’une voix adoucie. — Je crois que c’était une belle âme !… Je l’ai connue jeune fille, et j’ai pu lire parfois dans le livre vierge de sa pensée… Sait-on ce que sont les femmes, et y a-t-il un Dieu ? Quand je songe à ces jours, je doute, voilà tout… Durant quelques mois, elle resta en équilibre entre ces deux voies ouvertes que les hommes ont appelées le bon et le mauvais… Livrée