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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/616

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Les paroles de la marchande éclairèrent tout à coup son âme. Un instant, elle se fit frayeur à elle-même.

Puis son instinct sophistique renoua le bandeau au-devant de ses yeux ; elle repoussa la lumière ; elle douta ; puis elle nia.

Puis encore elle s’indigna contre cette accusation qui la blessait au vif.

— Ma pauvre Batailleur, dit-elle avec mépris et sécheresse, vous ne pouvez point comprendre ces choses, et j’ai tort de me chagriner pour des paroles prononcées à l’étourdie… Mais c’est que je l’aime tant, ajouta-t-elle dans un élan subit de passion, — cette chère enfant, qui est mon seul bien sur la terre et mon seul espoir dans l’avenir !… Oh ! croyez-moi, tout cet or est à elle !… Il y a bien longtemps que je songe à cela : mes plans sont faits et je lui arrange toute une vie de bonheur !… Pour sa misère passée, elle aura la richesse… Elle sera belle dès qu’elle ne souffrira plus… Elle sera noble, joyeuse, adorée… Oh ! mon Dieu ! mon Dieu ! m’accuse-t-on de ne pas aimer mon enfant !

Batailleur ouvrait de grands yeux ; elle doutait ; elle était émue : la paupière de Petite s’emplissait de larmes.

— Mais vous ne m’avez donc pas vue, s’écriait-elle d’une voix entrecoupée, — serrer dans mes bras cette autre enfant si pâle et si chétive que j’ai rencontrée quelquefois dans votre boutique ?…

— La Galifarde ? interrompit madame Batailleur.

— Sais-je le nom qu’on lui donne ?… Ce que je sais, c’est qu’elle a l’âge de ma Judith et qu’elle lui ressemble !… Ce que je sais, c’est que j’aime mon enfant de toutes les forces de mon âme !…

Elle s’approcha de Batailleur et prit une voix recueillie.

— Écoutez, poursuivit-elle en souriant doucement, — je vais vous dire ce que je ferai quand M. de Laurens sera mort…

Il y avait quelque chose de hideux dans ce mélange de sensibilité passionnée et de cruauté froide ; dans cette femme souriante qui bâtissait un doux rêve d’amour maternel sur l’assassinat d’un homme…

Mais la marchande ne voyait point ce côté de la question. Son ignorance se laissait prendre aux chaudes paroles de Petite ; son bon sens, que nul enseignement ne guidait, faisait fausse route, au premier vent de