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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/619

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votre volonté… Vous savez que je ne demande rien pour rien… Éclairez-moi, je vous prie.

Madame de Laurens reprenait en ce moment, sans y penser peut-être, ses airs de grande dame. La distance qui existait entre elle et Batailleur, comblée un instant par d’intimes confidences, revenait plus large que jamais. La marchande, malgré sa belle robe de satin et son bonnet splendide, n’avait plus l’air d’une compagne, mais d’une suivante. Elle se munit d’un flambeau et reconduisit Petite jusqu’en bas de l’escalier.

— À quelle heure vous reverrai-je ? demanda-t-elle.

— Je ne sais, répondit madame de Laurens. J’ai plusieurs choses à faire ce soir… Vous m’attendrez.

Elle sortit ; la marchande remonta.

En entrant dans sa chambre, elle mit bas son tablier graisseux et planta sur son bonnet le plus éclatant de tous ses chapeaux ; puis elle sortit à son tour pour se rendre à la maison de jeu de la rue des Prouvaires. — Deux ou trois minutes après son départ, on eût pu voir entrer dans le salon, madame Huffé, tenant entre ses bras un chat de gouttière d’une grosseur énorme.

Elle mit le matou à la place occupée naguère par Polyte, et s’assit elle-même sur la chaise laissée vide par sa maîtresse.

— Voilà pourtant comme c’est, mon pauvre minet ! grommela-t-elle en bourrant son assiette ; — après avoir occupé des positions, on se trouve réduite à servir une pas grand’chose… Veux-tu du veau ?

Minet voulait du veau.

— Quand je dis une pas grand’chose, reprit madame Huffé, cela signifie une rien du tout, mon ami… Mais patience, patience ! on sait ce qu’on sait… Celui qui vivra verra.

Le chat la regardait avec ses grands yeux jaunes.

Il était à madame Huffé ce que Polyte était à Batailleur, avec cette différence qu’on le traitait avec beaucoup plus de considération que Polyte.

Il eût fallu l’arrivée d’un empereur pour forcer la vieille femme à lui faire supporter l’avanie que Batailleur venait d’infliger à son favori.