Aller au contenu

Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/644

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Au moment où Fritz disparaissait dans l’allée des Quatre Fils Aymon, Johann sortit du péristyle pour jeter un regard à l’extérieur ; il aperçut au loin, contre le mur décrépit qui ferme la place, au bout de la rue du Petit-Thouars, deux ombres qui s’agitaient.

D’abord il ne put rien distinguer, mais au bout de quelques secondes, les mouvements silencieux des deux ombres prirent pour lui une signification. Les ombres étaient occupées à faire une sorte de toilette. À l’aide d’un secours réciproque et fraternel, elles enlevaient des pantalons qui formaient double et triple emploi sur les jambes.

Johann entendait de loin leurs éclats de rire étouffés et leurs plaisanteries échangées à voix basse :

— Je ne les croyais pas à Paris, se dit-il après quelques instants d’hésitation ; — si ce sont eux, tonnerre ! c’est de la chance… J’ai mes mille écus de rente dans ma poche !

Les deux hommes cependant continuaient leur étrange besogne ; chacun d’eux, tour à tour, présentait un pied à son camarade, qui tirait dessus et amenait une jambe de pantalon.

Le dépouillé ne restait pas pour cela sans culotte.

Cela ressemblait en vérité à cette scène grotesque du Cirque-Olympique, où le clown ôte deux douzaines de gilets sans parvenir à se mettre en chemise.

Johann regardait de tous ses yeux ; il croyait bien les reconnaître, mais il hésitait encore, parce que ceux à qui venait de faire allusion sa dernière phrase étaient deux coquins émérites, aussi prudents d’habitude que téméraires dans certaines occasions.

Il ne s’expliquait pas pourquoi ils bravaient les inutiles dangers d’une toilette en plein air, à une centaine de pas d’un corps-de-garde.

— Bonnet-Vert et Blaireau ne s’exposent pas ainsi ! pensa-t-il, — ça n’est pas dans leur caractère… Quand ils ont fait des pantalons, ils vont se dédoubler aux Quatre Fils, et pas dans la rue…

Comme il songeait ainsi, l’un des deux hommes leva la jambe un peu trop haut et tomba lourdement le long du mur. Son compagnon, qui voulut l’aider à se relever, perdit l’équilibre également et partagea sa chute.