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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/685

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— Mais comme tu es changé, mon bonhomme ! s’écria-t-il avec une nuance de véritable intérêt : tu es pâle comme un mort ; tes yeux sont rouges… Es-tu malade ?

Jean secoua la tête.

— Alors, tu es amoureux ! reprit le lion du Temple. Vous autres, jeunes premiers candides, qui ne connaissez pas la vie, vous prenez les femmes au sérieux… en plein dix-neuvième siècle, si on a vu des petitesses pareilles !… Voyons, n’est-ce pas que j’ai deviné, mon vieux ?

Jean secoua encore la tête.

— Ce qu’il y a de sûr, poursuivit Polyte, c’est que tu n’es pas énormément bavard !… Allons, mon bonhomme, déboutonne-toi un peu avec un ancien… qui sait ? je pourrai peut-être te tirer de peine… on a vu des choses plus drôles que ça !

Au lieu de répondre, Jean mit son front entre ses mains.

— C’est donc bien dur !… murmura le dandy avec une sorte d’effroi.

Un sanglot souleva la poitrine de Jean ; ses deux mains retombèrent, et Polyte vit son visage inondé de larmes.

Cette douleur le frappa beaucoup plus vivement qu’on n’aurait pu s’y attendre. Il demeura tout interdit et ne trouva plus de paroles.

Ce fut Jean qui rompit le premier le silence.

Quelques mots tombèrent de sa bouche, pénibles et embarrassés ; Polyte écoutait. Jean s’anima peu à peu ; le plaisir mélancolique qu’éprouvent à s’épancher les âmes blessées prenait insensiblement le dessus ; il raconta sa douloureuse histoire, la venue des recors dans la maison, le danger qui pesait sur la mère Regnault et l’impossibilité où il se trouvait de satisfaire son créancier impitoyable.

À mesure qu’il parlait, les traits fades et grossiers du dandy de bas ordre prenaient une expression d’intérêt croissant ; sa figure, qui n’avait ordinairement d’autre caractère qu’une épaisse insouciance, arrivait à peindre de véritables émotions.

— Si c’est possible ! grommelait-il de temps en temps ; — faire du mal comme ça à une pauvre bonne femme !

Lorsque Jean eut fini, Polyte ferma son poing avec colère, et frappa violemment le pavé du bout de sa canne.