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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/721

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tait accomplir héroïquement son devoir et garder intact le secret de son père. Elle ne savait pas qu’un refus de répondre équivaut à un aveu dans une multitude de circonstances ; elle ne savait pas que la première règle de la discrétion considérée comme art, c’est de savoir bel et bien mentir.

— Écoutez-moi, monsieur Franz, dit-elle sans lever les yeux, mais d’un petit air résolu qui la faisait plus gentille ; — si vous voulez que nous restions amis, il ne faut point m’interroger à ce sujet… Une fois pour toutes, je ne sais rien, je ne suppose rien, je n’ai rien à vous répondre.

Un sourire vint à la lèvre de Franz.

— Eh bien ! petite sœur, dit-il d’un accent soumis, — ne parlons plus de cela, puisque vous le voulez… J’aurais donné beaucoup pour savoir… mais je vois bien que vous êtes intraitable à l’endroit d la discrétion.

Gertraud poussa un grand soupir de soulagement ; elle triomphait naïvement au-dedans d’elle-même. Elle n’avait rien dit.

Franz, de son côté, n’avait point l’air trop désolé pour un vaincu. Le refus péremptoire qu’il venait de subir ne le plongeait point dans un découragement très-amer. Un observateur même médiocre eût deviné, à l’expression de son visage, qu’il savait à peu près ce qu’il voulait savoir.

De sorte que les deux enfants étaient enchantés tous les deux, Gertraud d’avoir gardé son secret, Franz de l’avoir surpris. Heureuse bataille où il n’y avait ni vainqueur ni vaincu, et où les deux armées, comme cela se fait souvent sur de plus grands théâtres, chantaient le Te Deum à l’unisson.

— Je vous obéis, petite sœur, reprit Franz, tandis que Gertraud calmée le regardait en souriant, — et je mets de côté ces questions qui vous déplaisent… nous avons, ma foi, bien autre chose à dire !… cet homme qui n’est pas votre père n’a laissé nulle trace à mon hôtel… je ne sais pas si je pourrai le retrouver jamais, mais qu’importe, en définitive !… La manière dont on agit avec moi signifie quelque chose : mon père est évidemment là-dessous, et l’on ne traite pas ainsi un enfant qu’on a l’intention d’abandonner ensuite.