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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/736

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Mais Gertraud lui tournait le dos directement, et arrangeait de la lumière sur le petit bureau du marchand d’habits.

Mademoiselle d’Audemer ne partageait point le trouble de Franz ; elle ne le remarquait même pas. Elle gardait le silence, mais c’était parce que son cœur était plein. Elle le voyait sauvé encore de cet autre danger que l’embarras de Gertraud lui avait fait redouter naguère.

Il y avait longtemps déjà qu’elle l’aimait. Ils s’étaient rencontrés à l’époque où Denise sortait de pension, dans le monde doré de la finance. Nous n’avons ni motif ni désir de parler en mal des jeunes héritiers de la banque ; ce sont nos seigneurs : que Plutus les tienne en joie ! Nous dirons seulement que Franz ne leur ressemblait point.

Au milieu de tous ces beaux fils, dont le moindre avait une valeur marchande de cinq à six cent mille francs, le pauvre petit commis tenait assurément bien peu de place. Il n’avait point de chevaux, partant point de jockey ; il n’avait pas même cette chose banale et que les mulâtres eux-mêmes se donnent, un nom, un titre, un malheureux morceau d’écusson !

Il était exactement dans la position précaire de ces bergères antiques qui épousaient des rois : il n’avait que son bon cœur et sa jolie figure.

Et aussi quelques petites choses que nous ne saurions point exactement décrire, un charme latent, une distinction innée, qui était douce et qui était fière ; un don ; ce je ne sais quoi qui plaît et qui impose.

Quand il s’agit de chevaux, les gentlemen appellent cela le sang ou la race.

La nature de Denise était d’aimer ce qui est noble. La distinction l’attirait ; elle était elle-même le type charmant de ces grâces simples et bonnes dont l’aristocratie véritable garde seule le secret.

Il n’y avait pas en elle un atome de coquetterie, dans le sens bourgeois du mot. Elle ne cachait rien, elle ne feignait rien ; un mot écouté par hasard ne mettait point sur sa joue cette rougeur effarouchée qui veut être une enseigne de pudeur et qui prouve seulement trop de science. Ses beaux yeux aux regards tranquilles et limpides ne recouraient pas trop souvent aux voiles de leurs paupières. Dans sa physionomie, comme au fond de son cœur, tout était naturel et pur.