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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/740

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avait là une belle jeune fille qui souriait avec un abandon plein de tendresse, et pourtant Franz se sentait le mors entre les dents. La solitude de cette pauvre chambre lui dictait un respect craintif, qu’il n’eût point éprouvé peut-être sous l’empire de l’étiquette mondaine.

Ce fut encore Denise qui rompit la première le silence.

— Je ne m’attendais pas à vous rencontrer ici, Franz, dit-elle ; si je l’avais pensé, je serais également venue… car j’avais désir et besoin de vous voir.

— Que vous êtes bonne !… murmura le jeune homme.

Sa voix était ménagée de manière à ne point arriver jusqu’aux oreilles de Gertraud. Il tenait à son tête à tête.

La voix de Denise, au contraire, s’élevait sonore et calme.

— Je voulais vous voir, reprit-elle, parce qu’hier vous m’avez forcée à lire au fond de mon cœur… Il y avait longtemps que je savais votre amour, Franz, et il y avait longtemps que je soupçonnais le mien… mais je m’efforçais de douter encore.

— Est-ce donc un si grand malheur de m’aimer ? demanda Franz avec reproche.

Les grands yeux bleus de mademoiselle d’Audemer prirent un regard sérieux et pensif. Son sourire mourut sur sa lèvre.

— Je ne sais, répondit-elle en baissant la voix involontairement ; je suis bien jeune et j’ignore la vie… et vous, Franz, n’êtes-vous pas un enfant ?

Ce mot vibre mal toujours aux oreilles de vingt ans.

Franz jeta une œillade sournoise du côté de Gertraud, pour voir si elle avait entendu.

La petite brodeuse avait un malin sourire sous un air de grand sérieux. Elle poussait son aiguille avec prestesse, et ses longs cils noirs ne cachaient qu’à demi l’étincrlle allègre de ses yeux.

Depuis que Denise était entrée dans la chambre du marchand d’habits, ce bruit inexplicable entendu par Jean Regnault sur l’escalier, et dont nous avons parlé plusieurs fois, avait fait trêve. En ce moment il reprit, mais timide et si faible que l’attention des deux amants ne fut point excitée.