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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/788

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— Et ce jeune homme est du nombre ?

— Précisément, baron.

— Vous l’avez donc aimé ?

— Jaloux !… prononça Petite avec coquetterie. À parler sérieusement, je ne sais trop que répondre… Je ne l’ai pas aimé comme je vous aime, Albert ; mais…

— Mais ? répéta Rodach.

— Eh bien ! s’écria Petite en jouant l’impétuosité, si vous aimiez une femme seulement comme cela, mon Albert, cette femme me ferait horreur !… Vous voyez que je suis franche ; mon Dieu ! je ne puis rien vous cacher…

C’était une cause plaidée dans les formes et avec la tortueuse éloquence d’un vieil avocat. La question, abordée de front, était reprise en flanc. Rodach mesurait avec une involontaire frayeur la froide perversité de cette femme qui lui mettait en se jouant un poignard dans la main, et qui avait peur de voir sa main trop lente, et qui cherchait à l’enivrer, pour ainsi dire, comme ces vulgaires scélérats qu’on emplit de vin, à l’heure du meurtre.

Il avait de la peine à poursuivra son rôle ; l’indignation faisait bouillir son sang, et il avait besoin de toute sa volonté pour rester calme en apparence.

— Vous êtes franche, Madame, répondit-il avec une nuance d’amertume dont Sara ne pouvait, certes, point s’étonner ; mais il faut que j’en sache davantage encore… Qu’alliez-vous faire ce soir chez ce jeune homme ?

Petite baissa les yeux et s’efforça de rougir.

— Vous sentez bien, murmura-t-elle, vous sentez bien que j’ai des ménagements à garder… ce jeune homme pourrait parler et me perdre… et si vous saviez toutes les idées nouvelles que votre vue a fait germer en moi, mon Albert ! C’est à peine si je songeais à toutes ces choses avant votre retour… mais depuis hier, j’ai bien réfléchi. Pour être heureuse, il faut que je sois tout à vous, et ce jeune homme à présent me fait peur.

Comme elle achevait, la porte de la salle de jeu s’ouvrit avec un fracas inusité ; deux nouveaux initiés entrèrent. Ceux-ci n’avaient point les al-