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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/800

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C’étaient Jean Regnault et Polyte sortant de la maison de jeu de madame la baronne de Saint-Roch.

Polyte n’avait plus cette apparence triomphante qui le rendait si cher à madame Batailleur. Il avait oublié de mettre son chapeau sur l’oreille, et c’est à peine si sa canne ébauchait à de rares intervalles un timide moulinet.

Mais son abattement n’était rien auprls de celui du pauvre Jean Regnault. Quand le gaz venait à éclairer entre deux piliers ses traits pâles et défaits, vous eussiez dit un fantôme. Il allait les yeux baissés, la bouche morne ; il n’y avait plus sur son visage ni pensée, ni vie.

Il ne répondit rien aux récriminations bavardes de Polyte ; il ne les entendait pas.

— C’est connu, disait tristement le lion du Temple, on ne peut pas comme ça gagner deux jours de suite !… Tu avais commencé le lundi soir et nous étions au mardi matin… j’aurais dû te prendre par le collet et t’emmener de force… mais je ne suis pas libre, moi, dans cette maison-là… si j’avais fait une esclandre on aurait appelé Joséphine, et minute !…

Jean semblait un somnambule qui marche sans écouter ni voir.

— Si c’est possible, reprenait Polyte, de perdre comme cela 4,000 francs, en un coup de carte !… De l’argent sûr qu’on pouvait mettre dans sa poche et emporter très-bien… Et dire que je n’étais pas là pour te fermer la bouche, en criant : Ne l’écoutez pas, il est fou !… Car tu es fou, mon garçon, ou je veux être pendu !

Jean poussait de gros soupirs. Polyte et lui venaient de s’engager dans la rue Rambuteau, large voie qui fera pénétrer jusqu’aux coins les plus reculés du Marais la belle civilisation de la pointe Saint-Eustache.

Tandis que Polyte radotait ses inutiles reproches, une réaction se faisait chez le joueur d’orgue ; son abattement cédait de nouveau à la fièvre. Il s’éveillait peu à peu ; son pas traînant et lourd se relevait par saccades ; il murmurait des paroles sans suite, que son geste convulsif accompagnait au hasard.

Au bout d’un quart d’heure de marche, il s’arrêta brusquement sur la chaussée boueuse de la rue du Temple.