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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/96

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— Il est manifeste, dit Regnault avec un grand sérieux, — que nous ne pouvons laisser peser cette éventualité menaçante sur la jeune famille de notre ami Mosès.

— En conséquence, poursuivit Van-Praët, — Zachœus, le docteur et moi, nous sommes d’avis qu’il faut employer les grands moyens.

— Je me range à cette opinion, dit Regnault.

— Quant à moi, murmura le juif, les yeux baissés, et la voix mal assurée, — Dieu m’est témoin que je suis un homme de paix… votre sagesse est plus grande que la mienne, et il ne me convient pas de vous donner des conseils.

Le Madgyar seul n’avait pas encore prononcé.

— Qu’appelez-vous les grands moyens, meinherr Van-Praët ? demanda-t-il.

— Ce sont là, seigneur Georgyi, répondit le Hollandais, — des explications pénibles et qui me semblent oiseuses… Encore une fois nous ne sommes pas des collégiens.

Yanos hésita durant un instant ; puis ses épais sourcils se froncèrent.

— En deux mots, reprit-il brusquement, — qui allez-vous tuer cette nuit ?

Le juif joignit ses mains, repoussa son assiette qui était vide et darda ses petits yeux gris au plafond en murmurant :

— Seigneur ! Seigneur !

— Le seigneur Yanos, dit Regnault, a des façons de s’exprimer qui donnent aux choses une physionomie féroce… Voilà que l’excellent Mosès n’a plus faim, et noire souper va s’achever dans la mélancolie… Que diable ! nous nous comprenons tous, et les explications de meinherr Van-Praët me paraissent parfaitement satisfaisantes.

— Elles ne me satisfont pas, moi, répliqua le madgyar, — et pour la seconde fois, je demande qui l’on prétend tuer cette nuit ?

Zachœus et Van-Praët gardèrent un silence boudeur.

— Pardieu ! s’écria Regnault avec brusquerie, — cela saute aux yeux… Gunther de Bluthaupt, sa femme et leur fils.

Yanos fit un geste de dégoût.

— Un vieillard, dit-il, — une femme et un enfant !…