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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/202

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tre invisible se dressait devant eux, et, sans le savoir, ils venaient de traverser la foule disséminée des spectateurs.

Depuis l’ancien village de Bluthaupt jusqu’à la pelouse, il y avait du monde ; il y en avait dans les grands bois de pins, sors les arbres alignés de l’avenue et dans les taillis qui avoisinaient le château.

Beaucoup, parmi ces spectateurs impatients, avaient été témoins du passage rapide des trois frères ; mais quand on attend, l’esprit rapporte tout à l’objet attendu. — Chacun pensa que ces mystérieux courriers apportaient de la ville à franc étrier quelque pièce oubliée du feu d’artifice.

Cela fit diversion et l’on en avait grand besoin, car la soirée était glaciale et plus d’une charmante dame grelottait au bras de son cavalier.

Les trois frères, cependant, n’avaient pas tué leurs chevaux pour rester oisifs au bord d’un fossé.

Ils supposaient que Franz était à l’intérieur du château ; ce qu’ils voulaient, c’était arriver jusqu’à Franz.

La douve, du côté de la plate-forme, cachait sa berge escarpée sous une épaisse chevelure de broussailles. Des ronces centenaires et mille plantes sauvages, nourries par l’humidité, jetaient en tous sens leurs pousses vigoureuses et suspendaient comme une rude toison au-dessus de l’eau endormie.

Les trois frères s’étaient agenouillés à quelques pas l’un de l’autre, le long de cette impénétrable bordure. Leurs mains tâtaient le sol et sondaient les broussailles.

— Il y a vingt ans que nous avons fait ce chemin pour la dernière fois, dit Goëtz ; le temps a bien pu boucher notre sentier.

— C’est à peine si la main passe à traversée taillis ! répondit Albert. Trouvez-vous quelque chose, Otto ?

— Je cherche… Si l’on avait au moins quelque petit rayon de lune !…

Ils poursuivirent silencieusement leur besogne durant une minute.

Puis Otto se redressa.

— Prenons notre élan et sautons, dit-il, morts ou vivants nous arriverons bien au fond du fossé.

Albert se releva à son tour, et fit quelques pas en arrière, comme s’il eût voulu tenter le saut le premier.