Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/21

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tait de vieux draps et de galons rougis avec les façades pavoisées du Pou Volant et de la Forêt-Noire. Refaçonneurs, resuceurs, niolleurs et fafiotteurs[1] attendaient la pratique de pied ferme. Il n’y avait pas jusqu’aux modestes rebouiseurs, ces plébéiens du commerce de savates, qui ne trouvassent à placer avantageusement leurs bottins au malodorant mastic.

Chacun de ces industriels, riche ou pauvre, était muni d’un collègue chargé de battre comtois (faire le compère) et de lever la pratique. Cette comédie est traditionnellement connue ; mais on s’y laisse prendre encore, surtout quand le comtois est une ménesse à la langue bien pendue, qui manie comme il faut le crachoir[2].

Il faut aller au Temple par une de ces matinées de bonne vente pour avoir un échantillon de cette langue métaphorique et hardiment imagée, qui donne à l’éloquence des revendeurs un irrésistible entrain. On y trouve des figures si pittoresques et si vives, qu’on les regrette, en vérité, pour la langue de tout le monde. Écoutez un instant… Parmi des expressions ignobles dans leur bizarrerie, vous allez reconnaître de vigoureuses images, du comique et du terrible, de la peinture parlée, pour ainsi dire, et jusqu’à du gracieux !

Voulez-vous du terrible ? Ce misérable, assassin de sang-froid, qui a retourné le couteau dans la plaie, a donné tout bonnement, au dire de cette râleuse qui passe, le demi-tour-de-clef ; cet autre, qui a broyé la tête d’un camarade, n’a fait, en définitive, que lui dévisser le coco.

Voulez-vous de la comédie ? Ce banqueroutier, qui s’est réfugié aux Batignolles (au Temple on ne va pas jusqu’en Belgique), s’est déguisé en cerf ; ce brave homme, que sa femme trompe et qui n’ose pas se plaindre, s’est collé le béguin. Ce parasite qui dîne aux dépens d’autrui, fait un voyage en Écosse, où, comme chacun sait, l’hospitalité se donne et ne se vend jamais.

Ceci est éminemment littéraire.

Et que de fines observations dans certaines métaphores ! La jalousie avide du marchand n’est-elle pas peinte au naturel dans cette expression :

  1. Voir la deuxième partie, LA ROTONDE DU TEMPLE.
  2. Une femme qui parle bien.