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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/276

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Il se souvenait de sa conversation avec Jean, sur la place de la Rotonde, à la suite de l’orgie du cabaret des Fils-Aymon.

Cette folle idée, qui était venue à l’ivresse du pauvre joueur d’orgue, était-elle donc la réalité ?

— Comment ! reprit-il, abondant avec intention dans le sens du joueur d’orgue, tu ne savais pas encore ça, mon petit !… mais je te l’avais dit là-bas, sur le Carreau !…

— Mon Dieu ! mon Dieu ! murmurait Jean, si loin de Paris !… est-ce possible ?

— Tu n’as qu’à voir, mon fils… ce qui est sûr, c’est que la petite Gertraud en tient pour lui de la bonne manière… et qu’il la fait aller, la pauvre mignonne, il faut voir !

— Il la trompe ? balbutia Jean.

— Un peu, mon fils… Y sommes-nous ?

Jean saisit le levier qui était à terre et redressa brusquement sa taille courbée ; il avait à cette heure la force d’un athlète.

Un cri sourd sortit de sa poitrine, et il enfonça le levier sous le roc.

Johann ne le laissa pas en arrière.

La Tête-du-Nègre, qui ne tenait plus à rien, perdit son équilibre et tomba.

Au moment où elle quittait sa base, Johann saisit le joueur d’orgue à bras-le-corps et le coucha par terre.

On entendit un cri du côté de la vallée, puis un profond silence se fit. Jean voulut regarder, mais les bras robustes du marchand de vins l’enchaînaient au sol.

— Ce n’est pas pour te faire du mal, mon petit, disait ce dernier, tu as travaillé comme il faut… mais si nous l’avons manqué, il va lever la tête en l’air, et il ne ferait pas bon pour nous d’être aperçus en ce lieu !

Après quelques efforts impuissants, Jean demeura immobile ; sa conscience parlait ; il était écrasé sous les remords.

Johann ne le lâcha qu’au bout de plusieurs minutes ; pendant tout ce temps, le marchand de vins avait tenu l’oreille au guet ; aucun son n’était parvenu jusqu’à lui du bas de la montagne ; il acquérait tout doucement la certitude que la chose était faite