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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/292

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Néanmoins, l’entretien languissait ; Mira était taciturne comme de coutume ; le Madgyar, absorbé dans une méditation lugubre, ne prononçait pas une parole.

Depuis le départ de France on ne l’avait pas vu s’égayer une seule fois ; à table, il buvait silencieusement, et trouvait une humeur plus sombre au fond de son verre. Entre les repas, il errait seul dans les bois, et s’enfonçait au plus profond des fourrés, si quelqu’un venait à croiser sa route, par hasard.

Chasses, bals, joutes, promenades brillantes, le laissaient toujours solitaire et morne.

La vue du château de Geldberg avait paru produire sur lui, dès l’abord, une impression sinistre. Reinhold, qui écoutait volontiers aux portes, prétendait l’avoir entendu parler seul, bien des fois, la nuit, dans sa chambre.

Sa voix était alors pleine de terreurs ; il prononçait le nom de Bluthaupt ; — il demandait pitié à Dieu…

Et il prononçait encore un autre nom, — un nom de femme : — c’était d’un accent plaintif et profondément désolé.

— Il s’est marié, disait Reinhold ; — il a été trompé comme le sont régulièrement tous ces grands gaillards à éperons et à moustaches… il n’y a que les hommes de taille moyenne pour fixer les femmes ! et il se frappe la poitrine comme un malheureux… et il croit que sa mésaventure est un châtiment direct de ses peccadilles d’autrefois…

Reinhold disait tout cela un peu au hasard, mais son hypothèse arrivait bien près de la réalité. — À part les souvenirs lugubres qu’éveillait en lui la vue de la demeure de Bluthaupt, Yanos était blessé au cœur.

Il avait mis tous ses espoirs dans l’amour d’une femme, et les quelques heures que le baron de Rodach avait passées à Londres avaient brisé d’un seul coup son bonheur.

Outre le remords, il n’y avait en lui qu’une seule pensée : la vengeance. — Il attendait le baron de Rodach.

Restaient, pour soutenir l’entretien, madame de Laurens et le bon Fabricius.

Mais Sara, ce matin, n’était pas d’humeur causeuse ; elle s’enfonçait paresseusement dans son fauteuil ; ses yeux, demi-clos, semblaient cares-